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Bactéries des Abysses
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Dans les années 1980, les scientifiques découvrent, à plus de 2 500 mètres de profondeur des bactéries capables de vivre à des températures élevées. Cette aptitude se révèle être un véritable atout dans le domaine des biotechnologies.

M. Lucien Laubier, qui était à l’époque Directeur de l’Institut Océanographique de Paris et Professeur à l’Université de Méditerranée (Centre d’Océanologie de Marseille – Observatoire des Sciences de l’Univers), nous avait fait l’amitié de relire et valider ce dossier en 2006.

Loin des idées reçues, l’apparition de la vie n’est sans doute pas si exigeante qu’elle y paraît. Alors que la lumière, l’oxygène, ou l’eau faisaient figures de critères indispensables au développement de toute forme de vie, l’observation des milieux extrêmes incite à relativiser les « conditions uniques » dans lesquelles sont apparus les premiers microorganismes. Ainsi, la vie ne cesse de surprendre en colonisant les milieux les plus insolites et hostiles de la planète.

Charles Darwin fut l’un des précurseurs dans l’observation des organismes vivants des environnements extrêmes. Au cours d’un voyage en Amérique du Sud, où il visitait un grand lac salé, il remarqua que l’eau arborait une couleur rougeâtre. Après analyse, cette couleur s’avéra être liée à la présence d’un grand nombre de petits organismes vivants : « Lacs d’eau saumâtres ou sources minérales d’eau chaude, profondeurs de l’océan, régions supérieures de l’atmosphère, surface des neiges éternelles ; partout on trouve des êtres organisés ». Et Darwin ne s’était pas trompé…

Le milieu abyssal, où règnent le froid, l’obscurité et une très forte pression, couvre 307 millions de kilomètres carrés soit les deux tiers de la surface du globe. Il a longtemps été considéré comme un quasi-désert mais il y a une trentaine d’années, les océanographes ont découvert des oasis de vie au milieu de paysages semi-désertiques.

Bactéries des abysses

Un écosystème extrême

© The Stephen Low Company
Cette photo a été prise avec une caméra IMAX, lors d’une plongée du sous-marin d’exploration Alvin. Elle a été réalisée dans le cadre du film Volcans des abysses de Stephen Low sorti en 2003. © The Stephen Low Company

Les microorganismes appelés « extrêmophiles* » sont spécifiquement adaptés à des milieux écologiques particuliers où ils se développent activement alors qu’ils ne survivent pas dans des conditions « ordinaires ».

Il en existe différents groupes. Tous sont répartis en fonction des paramètres physiques (pression, température…) ou chimiques (salinité, acidité…) extrêmes pour lesquels leur croissance est optimale.

Les premières observations d’espèces thermophiles (espèces adaptées aux hautes températures) sous-marines eurent lieu en 1977 et 1978 lors de campagnes océanographiques américaines et françaises sur la ride Est-Pacifique. Les scientifiques ont découvert des écosystèmes hydrothermaux sous-marins à plus de 2500 mètres de profondeur. Un phénomène encore inconnu jusque-là. À la surprise générale, des communautés d’organismes prolifèrent autour de ces sources hydrothermales. Vers immenses au panache rouge vif, grands bivalves et crustacés semblent parfaitement s’acclimater au noir absolu, aux températures et aux pressions extrêmes, tout comme ils semblent indéniablement tolérer une faible teneur en oxygène…

Un intérêt industriel

Ces microorganismes, dits « extrêmophiles* » présentent, outre leur intérêt écologique évident, l’avantage de fonctionner dans des conditions extrêmes. Une aptitude qui se révèle être un véritable atout dans le domaine des biotechnologies. En effet, de nombreux procédés industriels se déroulent dans des conditions de température, de pression ou encore de pH extrêmes, or les bactéries* ou enzymes* utilisées traditionnellement ne sont actives que dans un domaine restreint de conditions de température, pression…

© Protéus (3)
Un laboratoire spécialisé dans les biotechnologies © Protéus

Les sources hydrothermales font donc figures de véritables gisements potentiels de molécules originales pour de nouvelles applications industrielles. Et ceci aussi bien dans le domaine de la biologie moléculaire* que dans les biotransformations* à haute valeur ajoutée.

Les biotechnologies ou la « technologie au naturel »

Qu’appelle-t-on biotechnologies ? Ce terme désigne pour l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économique) « les applications de la science et de la technologie aux organismes vivants, à d’autres matériaux vivants ou non vivants, pour la production de savoirs, biens et services ».

Autrement dit, les biotechnologies symbolisent l’ensemble des procédés et techniques qui utilisent comme outils des organismes vivants (cellules, bactéries*, levures, …) ou des parties de ceux-ci (gènes*, enzymes*, …).

Elles sont utilisées dans de multiples domaines : l’agriculture, la médecine, les cosmétiques ou encore l’alimentation. En boulangerie par exemple, des enzymes* permettent le blanchiment de la mie de pain.

Les grands domaines de la biotechnologie sont au nombre de quatre :

  • Les fermentations : fabrication de vin, de pain, de fromage, mais aussi d’antibiotiques, de méthane, traitement et valorisation de déchets… ;
  • Le génie enzymatique (en liaison avec les fermentations) : il regroupe l’ensemble des concepts, des méthodes et des techniques, mettant en œuvre les propriétés catalytiques des enzymes* ;
  • Le génie génétique* qui modifie le patrimoine génétique des cellules (bactériennes, notamment) pour les rendre aptes à certaines fonctions (exemple : OGM Organismes Génétiquement Modifiés)
  • Le clonage.

Les biotechnologies sont aujourd’hui omniprésentes dans le monde de l’industrie que ce soit dans les lessives, les pâtes à papier, les crèmes à bronzer, dans l’alimentation du bétail, la fabrication du sucre à partir d’amidon ou pour faire vieillir les jeans ! On les trouve aussi en tant que réactifs dans les analyses médicales, dans l’industrie du cuir, dans la valorisation des déchets ou encore dans le domaine thérapeutique… Dans tous ces secteurs, les progrès de la biologie moléculaire* donnent accès à de nouveaux produits et apportent des améliorations aux procédés classiques.

Un climat extrême

Vivre dans un écosystème incroyable

A plus de 2500 mètres de profondeur, quelques espèces défient les lois de la biologie et créent la vie là où l’homme n’osait l’imaginer : au cœur des abysses.

Ces peuplements ont des biomasses* pour le moins étonnantes (elles atteignent localement 50 à 100 kilogrammes par mètre carré), le tout sur des surfaces très réduites, quelques dizaines à quelques centaines de mètres carrés.

Mais comment la vie peut-elle se développer à des milliers de mètres sous la surface de l’eau, dans le noir le plus complet et à des pressions et des températures aussi extrêmes ? La réponse se trouve à proximité des sources hydrothermales.

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Schéma de la circulation des fluides au sein d'une source hydrothermale © "Les sources abyssales, berceau de la vie ?" La Recherche n°355, juillet-août 2002, p.23

Les sources hydrothermales sont situées dans des zones de tectonique active : des zones où les plaques tectoniques s’écartent les unes des autres sous la poussée du magma basaltique montant des profondeurs (zone dite d’accrétion), Au cours du refroidissement du magma, l’eau de mer s’engouffre dans les fissures provoquées par les mouvements des plaques lithosphériques*.

En pénétrant dans les fissures de la croûte océanique* jusqu’à des profondeurs de 1000 à 3000 mètres, l’eau de mer se réchauffe jusqu’à 800°C environ grâce à sa proximité avec le réservoir superficiel de magma. Elle perd alors son oxygène dissous. Des composés comme les sulfates sont réduits pour donner des sulfures, hydrogène sulfuré et sulfures de différents métaux (sulfures polymétalliques) échangés avec le basalte*. L’eau de mer se transforme en un fluide anoxique*, chargé de sulfures, très chaud qui remonte vers la surface par convection*. En remontant, ce fluide est émis par les évents (orifices) hydrothermaux à des températures élevées, pouvant atteindre 350 à 400°C. Mais du fait de la forte pression hydrostatique régnant à 2500 mètres (de l’ordre de 26 Mégapascal*), l’eau reste liquide bien au-delà de 100°C.

Sur un même site, en fonction du mélange avec l’eau de mer fraîche, on distingue plusieurs types d’émissions hydrothermales selon leurs formes, leur température, leur débit et leur composition chimique. Mais ce sont les fumeurs noirs (ou black smokers) qui en sont sans doute la manifestation la plus remarquable.

Fumeur noir : une source de vie pour tout un environnement

Fumeur noir © NOAA
Les fumeurs noirs dans l'obscurité abyssale © NOAA

Le fluide hydrothermal qui jaillit des fumeurs noirs est acide, dépourvu d’oxygène et très riche en sulfures de différents métaux. Au contact de l’eau de mer, les sulfures métalliques précipitent et forment des cheminées pouvant atteindre plusieurs mètres de hauteur. C’est d’ailleurs ce phénomène qui a donné naissance au terme « fumeurs noirs » pour désigner les sources hydrothermales abyssales.

Les fluides hydrothermaux se caractérisent par une absence d’oxygène et de fortes teneurs en gaz dissous (hydrogène sulfuré, méthane, monoxyde de carbone, dioxyde de carbone, hydrogène), en métaux (manganèse, fer, zinc, cuivre et même argent et or) et par d’importants gradients thermiques. Entre le centre du jet chaud et l’eau de mer environnante, la température peut ainsi varier de 2°C à plus de 400°C en quelques dizaines de centimètres.

Ces fumeurs noirs permettent le développement de toute une faune à proximité de ceux-ci. L’hydrogène sulfuré contenu dans le fluide hydrothermal fournit l’énergie à la vie des bactéries* qui vivent en symbiose* à l’intérieur des cellules de divers invertébrés (vers, bivalves…).

Bactéries* et invertébrés, une relation symbiotique

© Ifremer
© Ifremer

Certaines bactérie* que l’on appelle chimiosynthétiques sulfo-oxydantes* vivent en symbiose* à l’intérieur des cellules de divers invertébrés. Prenons l’exemple d’un vestimentifère : grâce à ses pigments sanguins, ce ver est capable de capter l’hydrogène sulfuré et l’oxygène de l’eau de mer contenu dans le fluide hydrothermal. Le gaz carbonique indispensable aux synthèses organiques est lui aussi transporté par le sang, et ceci jusqu’aux bactéries* chimiosynthétiques.

Ces dernières extraient les sulfures qu’elles oxydent, de façon ménagée, puis captent l’énergie libérée, par cette réaction chimique, sous forme de molécules énergétiques. Elles utilisent alors le gaz carbonique pour élaborer les sucres qui sont à la base des synthèses organiques. Pendant leur vie, et après leur mort, les bactéries* fournissent donc au ver l’ensemble des substances alimentaires dont il a besoin.

L’intérieur ou la proximité immédiate des cheminées constitue un milieu de vie totalement différent. En effet, les fluides qui y circulent flirtent avec des températures extrêmement élevées. C’est principalement là que s’amassent les microorganismes thermophiles ou hyperthermophiles. Les thermophiles se développent entre 45°C et 100°C, voire plus. Les hyperthermophiles font partis des thermophiles, leur température optimale est supérieure à 80°C.

Les thermophiles, des bactéries* qui n’ont pas froid aux yeux

La température est l’une des variables les plus importantes dans notre environnement. Elle influence directement ou indirectement les activités et la distribution des micro-organismes.

En effet, les différents types de bactéries* croissent plus rapidement à une température donnée : on parle alors de température optimale de croissance. La vitesse de croissance diminue lorsque la température s’écarte de cet optimum.

Le sens du mot « thermophile » fut assez souvent mal compris et son utilisation fréquemment abusive. La définition donnée par Thomas D. Brock en 1986, est la plus largement reconnue : « un thermophile est un organisme dont les conditions optimales de croissance se situent au-dessus de 60°C ».

La classification de Stetter est actuellement la plus pratique et la plus répandue. Sur la base de leur température optimale de croissance, les organismes sont répartis en 3 groupes :

© La Cité de la Mer
La classification de Stetter © La Cité de la Mer

Quelques exemples de bactéries thermophiles et hyperthermophiles sous-marines :

Ordre

Genre

Espèce

Année d’isolement

T° maximale

Clostridiales

Carboxydobrachium

pacificum

2001

70°C

Aquificales

Persephonella

marina

2002

73°C

guaymasensis

2002

70°C

Thermotogales

Marinitoga

camini

2001

55°C

piezophilades

2002

65°C

Thermosipho

melanesiensis

1997

70°C

japonicus

2000

72°C

Les hyperthermophiles les plus extrêmes sont des archéobactéries.

Les archéobactéries, une vie extrême

Dans la classification des êtres vivants, on distinguait traditionnellement 2 groupes majeurs : les eucaryotes et les procaryotes. Les premiers, unicellulaires* ou pluricellulaires*, possèdent des cellules au noyau bien formé alors que les procaryotes, eux, sont des êtres toujours unicellulaires* dépourvus de noyau.

C’est à ce deuxième groupe qu’appartiennent les bactéries* thermophiles et hyperthermophiles. Par la suite (1978), C.R. Woese découvre l’existence de bactéries* totalement insolites présentant des caractéristiques procaryotes mais divergeant profondément des bactéries* jusqu’alors connues, par leur physiologie et la structure de leur membrane notamment.

Le groupe des procaryotes fut alors subdivisé en deux ensembles : les eubactéries (ou bactéries vraies) et les archéobactéries.

En résumé, l’ensemble des organismes cellulaires peut donc être divisé en 3 règnes :

  • Les archéobactéries
  • Les eubactéries (bactéries vraies)
  • Les eucaryotes (animaux, végétaux, champignons)
© Woese et al, 1990
Les hyperthermophiles à l’intérieur de l’arbre phylogénétique* © Woese et al, 1990

Les eucaryotes peuvent supporter une température se situant aux alentours de 60°C même si quelques rares protozoaires, algues et champignons peuvent vivre à de telles températures. Ainsi, le ver de pompéi Alvinella pompejana, est capable de supporter des températures de 80°C, 90°C et même 100° C !

Pyrococcus abyss © Ifremer
Pyrococcus abyss © Ifremer

Cependant, à de rares exceptions près, seuls les procaryotes se développent au-delà de 60°C. Et encore, ils n’ont pas tous la faculté de supporter de fortes températures. La découverte des archéobactéries en tant que troisième grand phylum de la vie fut donc un événement scientifique majeur : la découverte de l’hyperthermophilie. En effet, s’il existe quelques eubactéries hyperthermophiles, la grande majorité des microorganismes adeptes de cette chaleur intense sont des archéobactéries.

Ces dernières font preuve d’ingéniosité pour résister à la chaleur dégagée au cœur des sources hydrothermales : tous les êtres vivants sont composés d’assemblages complexes d’atomes et de macromolécules (protéines*, acides nucléiques*) dans lesquels les atomes sont maintenus par des liaisons. L’augmentation de la température accentue l’agitation des atomes et des molécules, si bien que les liaisons se rompent. Au-delà de 120-150°C toute liaison chimique est donc irrémédiablement détruite. Mais les hyperthermophiles développent de vraies stratégies pour maintenir leurs liaisons et ainsi contrecarrer l’effet de la température sur leurs édifices moléculaires.

Quelques exemples d’archéobactéries thermophiles et hyperthermophiles sous-marines :

Ordre

Genre

Espèce

Année d’isolement

T° maximale

Pyrodictiales

Pyrodictium

abyssi

1991

110

Thermococcales

Palaeococcus

ferrophilus

2000

83

Thermococcus

aggregans

1998

88

hydrothermalis

1997

98

barophilus

1999

85

chitonophagus

1996

75

atlanticus

2003

 

fumicolans

1996

85

guaymasensis

1998

88

pacificus

1998

88

peptinophilus

1996

85

profundus

1995

80

siculi

2000

 

stetteri

1990

88

Pyrococcus

horikoshii

1999

98

glycovorans

1999

95

abyssi

1993

102

Archaeoglobales

Archaeoglobus

profundus

1990

90

veneficus

1998

 

Methanococcales

Methanococcus

jannaschii

1983

86

infernus

1988

85

igneus

1990

91

vulcanius

1999

80

Methanopyrales

Methanopyrus

kandleri

1992

110

Les sources hydrothermales restent des phénomènes localisés

Bien que dans son ensemble, l’environnement terrestre demeure relativement tempéré, il existe tout de même sur cette Terre quelques lieux qui abritent des milieux encore hostiles à la vie. Ceux dont les températures sont élevées sont largement distribuées à la surface du globe. Qu’ils soient artificiels (centrales électriques, usines agroalimentaires, réservoirs de pétroles…) ou naturels (sources chaudes, geysers et surtout sources hydrothermales), ces sites se transforment souvent en véritable habitat géothermique*.

Les systèmes hydrothermaux sous-marins sont localisés principalement :

  • Le long du littoral, au large des îles volcaniques, à des profondeurs de quelques mètres. On en trouve par exemple près de Naples en Italie ou au voisinage de l’Islande. Leur origine est identique aux sources géothermales* continentales, mais l’orifice de la source thermale est situé sous l’eau et non sur le continent. L’eau émise est donc de l’eau douce, de pH neutre à alcalin, dont la température est d’environ 75 à 95°C.

Ces régions hydrothermales littorales abritent de nombreux procaryotes thermophiles. Nous citerons, par exemple, certaines espèces de bactéries* du genre Thermus (T. aquaticus), Thermotoga (T. maritima et Rhodothermus marinus) ainsi que diverses archéobactéries telles que Thermococcus littoralis, Pyrococcus furiosus.

  • En profondeur. On parle de sites hydrothermaux sous-marins profonds. Ils sont situés sur l’axe des dorsales océaniques*, zones dites d’accrétion :
    – Le long de la dorsale* médio-Atlantique
    – Le long de la dorsale* est du Pacifique et du rift des Galapagos
    – Au niveau de l’équateur (-2600 m)
    – Au niveau de diverses autres fissures océaniques : dans le bassin Guaymas situé dans le golfe de Californie (-2000 m)…
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Localisation des sites hydrothermaux © "Les abysses perdent de leur mystère" │ Infographie: Alain Meyer / Science & Vie Hors Série n°233, décembre 2005, p.64

Prélever dans les abysses

Les grandes campagnes océanographiques

Les sources hydrothermales passionnent. Elles excitent la curiosité d’une multitude de chercheurs désireux d’observer les trésors que cache ce monde encore méconnu. Mais l’exploration des fonds sous-marins n’est pas simple. Les conditions d’accès sont difficiles. Accéder au cœur de l’océan relève d’un véritable exploit technique qui est généralement le fruit de nombreuses années de préparation commune entre différents organismes de recherche.

De multiples campagnes océanographiques ont été réalisées conjointement par différents organismes de recherche comme le CNRS (Centre National de Recherche Scientifique) et l’Ifremer (Institut Français pour la Recherche et l’Exploitation de la Mer), le seul en France à disposer des moyens sous-marins indispensables. Leur objectif : étudier l’écologie microbienne des écosystèmes hydrothermaux et effectuer des prélèvements.

2007- Campagne Serpentine (Serpentine Experiments on Ridge hydrothermal Processes – Exploration on New Targets and INterdisciplinary Expedition)

L’objectif de cette campagne : étudier la diversité et les interactions biologique et géologique des systèmes hydrothermaux qui se situent à de grandes profondeurs (plus de 4 000 mètres de profondeur) dont le site hydrothermal Achadze qui est le plus profond actuellement connu dans les océans.

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2006 – Campagne Momareto

Deux objectifs pour cette campagne qui s’est déroulée sur des sites hydrothermaux situés au sud-est des Açores.

  • Premier objectif : tester de nouveaux outils permettant d’explorer, de décrire, de quantifier et d’observer la biodiversité de l’écosystème hydrothermal.
  • Deuxième objectif : étudier la réponse des espèces hydrothermales aux variations de leur environnement. Trois sites hydrothermaux déjà connus ont été visités : Menez Gwen (profondeur 850 m), Lucky Strike (1650 m) et Rainbow (2300 m).

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Retrouvez le descriptif des campagnes (avant 2004) sur le site de l’Ifremer.

2004 – Campagne Biospeedo

Elaborée par la station biologique de Roscoff et par l’Ifremer, cette campagne a étudié la distribution de la biodiversité et de la géodiversité hydrothermales.

2003 – Campagne Exomar (Extremophiles Of the Mid-Atlantique Ridge)

La campagne Exomar est revenue sur certains sites de sources hydrothermales qui présentent un intérêt majeur d’un point de vue géologique ou biologique. Elle avait pour principal objectif l’étude des écosystèmes microbiens extrêmophiles* afin d’en décrire la biodiversité, à des fins scientifiques et biotechnologiques.

2002-2003 – Mise en place du programme Repbiotech

Ce programme a regroupé 7 laboratoires européens et un industriel sur la réplication de l’ADN* chez les archéobactéries et les eucaryotes.

2002 – Campagne Phare (Peuplements Hydrothermaux, leurs Associations et Relations avec l’Environnement)

Au large des côtes mexicaines, des expérimentations in situ, par 2600 m de fond, et in vivo, en aquarium pressurisé ont été menées pour mieux comprendre les interactions entre animaux, microorganismes et leur environnement.

Fin 1995 – Campagne Microsmoke

Étude de la source hydrothermale la plus profonde connue à l’époque (3500 m de profondeur) sur la dorsale* Atlantique (site de la fosse aux serpents).

1992 – Mise en place du Programme GDR* « Bactocéan »

Ce programme a été mis en place conjointement par le CNRS, l’Ifremer et des universités. Il a pour objectif l’étude des communautés bactériennes hydrothermales, leur adaptation aux conditions extrêmes et leurs utilisations potentielles en biotechnologie.

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1991 – Campagne Guaynaut

1991 – Campagne Hero’91

Hero’91 fait partie d’un cycle consacré à l’observation et à la description des variations temporelles des peuplements hydrothermaux et des conditions d’émission du fluide (Dorsale* Pacifique Orientale). Ce cycle a commencé en 1982 avec la campagne Biocyatherm (1982) et s’est poursuivi avec les campagnes Biocyarise (1984), Hydronaut (1987), MMVT (1990).

1989 – Campagne Starmer

Cette campagne franco-japonaise, organisée par l’Ifremer et le Japan Agency for Marine-earth Science and TEChnology (JAMSTEC), dans le bassin nord-fidjien, a marqué pour les équipes du GDR* en charge de la microbiologie de terrain, leur entrée dans le monde de la thermophilie.

1989 – Campagne Biolau

Etude écologique des zones d’hydrothermalisme du bassin de Lau – Recherche de bactéries* à des fins d’applications biotechnologiques.

1988 – Création du laboratoire de microbiologie marine du CNRS à Roscoff (LMM) et du laboratoire de biotechnologie des micro-organismes hydrothermaux de l’Ifremerà Brest (LBMH).

1987 – Campagne Hydronaut

Poursuite des études d’écologie, de biologie et de physiologie réalisées au cours des campagnes Biocyatherm (1982) Biocyarise (1984) sur la dorsale* du Pacifique Est.

1984 – Campagne Biocyarise

Poursuite des études d’écologie, de biologie et de physiologie réalisées au cours des campagnes Biocyatherm (1982).

1982 – Campagne Biocyatherm

Etude des peuplements d’organismes associés à une zone d’hydrothermalisme océanique intense (description des communautés et comparaison avec celles observées dans d’autres zones océaniques d’hydrothermalisme ; études physiologiques, biochimiques et géochimiques).

C’est au cours de ces campagnes que sont collectés de nombreux échantillons hydrothermaux et que sont isolées des souches de types métaboliques variés.

Les différentes techniques de prélèvements

Pour étudier les sites hydrothermaux sous-marins profonds, il est nécessaire de posséder des submersibles scientifiques, capables de résister aux pressions énormes des profondeurs abyssales, et équipés d’un matériel sophistiqué permettant l’observation et le recueil des informations.

Or, dans le monde, seuls les Etats-Unis, la Russie, le Japon et la France possèdent aujourd’hui de tels engins. La France en avait même deux mais l’un d’entre eux, Cyana (Ifremer) a été désarmé en 2003. Reste donc le Nautile (Ifremer), submersible habité, qui peut plonger jusqu’à 6000 mètres de profondeur.

Ces submersibles ont permis l’isolement de nombreuses archéobactéries hyperthermophiles telles que Pyrodictium abyssi, Pyrococcus abyssi et Pyrococcus furiosus, Methanococcus jannashii ou Archaeoglobus profondus.

L’Ifremer a également conçu Victor 6000 : le premier système téléopéré français de type ROV (Remotely Operated Vehicle). Un robot qui peut descendre jusqu’à 6000 mètres de profondeur.

A la différence des sous-marins habités qui ne peuvent demeurer que quelques heures au fond en raison des problèmes d’autonomie d’énergie pour le véhicule et d’oxygène pour l’équipage, Victor 6000 est, lui, capable d’opérer plusieurs jours sur le fond et de transmettre des flux de données importants vers son navire de surface, grâce à la fibre optique.

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La Cyana © Ifremer
La Cyana, jeune retraité de l’Ifremer © Ifremer
Victor 6000 © Ifremer
Victor 6000 © Ifremer
Nautile © Ifremer
Nautile © Ifremer

Une plongée à bord du Nautile

Le Nautile est un sous-marin qui peut atteindre une profondeur de 6000 mètres. A son bord, dans une sphère de 2 mètres de diamètre : un pilote, un co-pilote et un observateur scientifique. Pour effectuer un maximum de prélèvements, des engins d’échantillonnages sont immergés avant la plongée du submersible. Ils arriveront sur le fond à proximité de la cible de plongée.

Le Nautile est ensuite mis à l’eau à partir d’un navire océanographique, qui embarque outre son équipage, l’équipe technique du Nautile et une équipe scientifique de 12 à 20 personnes. Selon le programme de la mission, la campagne peut durer de 15 à 30 jours avec en général une plongée par jour. La cible à atteindre est circonscrite dans un périmètre délimité par des balises acoustiques, dans lequel se déplace le sous-marin.

A chaque plongée, les deux pilotes et l’observateur scientifique disposent d’un programme de mesures et d’échantillonnages à effectuer pendant les 5 heures passées au fond. Après environ 1 heure de descente, la proximité du site est indiquée par la densité des particules et l’apparition d’une faune spécifique qui confirme les consignes de navigation transmises depuis la surface et qui permettent l’approche finale.

L’exploration d’un site commence

  • La mesure des températures des différentes émissions de fluides hydrothermaux.
  • Le prélèvement de ces fluides à l’aide de seringues en titane ou de bouteilles. Leur analyse donnera des indications sur l’environnement physico-chimique des microorganismes vivant à leur contact.
  • La pose de collecteurs sur une cheminée active. Ils y resteront pendant plusieurs jours. Ils contiennent des coupons de diverses natures sur lesquels vont se fixer les particules et les cellules entraînées par le fluide hydrothermal provenant de la cheminée.
  • Le prélèvement de morceaux de cheminées pour connaître la composition et la localisation des communautés de microorganismes qui sont répartis, selon un gradient de température, sur les parois des cheminées hydrothermales.
© NOAA (2)
Prélèvement sur une cheminée (fumeur noir) © NOAA

Guidé par le scientifique, le pilote commande les deux bras télémanipulateurs pour prélever les échantillons au milieu des rochers et des sédiments. Echantillons qui sont ensuite rangés dans un panier étanche. Le copilote, lui, actionne les caméras photos et vidéo.

Certaines précautions doivent être respectées tout au long du prélèvement afin d’éviter la contamination par l’oxygène qui est toxique, à haute température, pour la plupart de ces microorganismes. A cause de la faible solubilité de l’oxygène à haute température et de la présence de gaz réducteurs, la plupart des environnements chauds arborent des microorganismes anaérobies*. Malgré tout, même les hyperthermophiles peuvent survivre pendant des années dans les laboratoires en présence d’oxygène, s’ils sont maintenus au froid.

Une fois le sous-marin remonté, chacun procède soit directement à l’analyse des échantillons dans les laboratoires embarqués, soit à leur conditionnement en vue de les étudier sur la terre ferme.

Les échantillons collectés par les submersibles sont placés dans des enceintes isothermes avant d’être remontés à la surface. Les enceintes seront ensuite transférées dans des flacons contenant de l’eau de mer stérile et un réducteur (par exemple le sulfure de sodium) pour maintenir l’anaérobiose*. Ils sont conservés ainsi jusqu’à leur arrivée dans les différentes structures (Ifremer…) où ils seront traités.

Les cultures de bactéries*

Une fois les microorganismes prélevés, il est nécessaire de les multiplier. La mise en culture permet en effet de ne pas se contenter uniquement de l’analyse des rares échantillons récoltés. L’étude des bactéries* requiert d’innombrables expérimentations qui nécessitent elles-mêmes d’avoir une quantité importante d’échantillons.

© Protéus (1)
Mise en culture dans des boites de pétris © Protéus

Pour résister aux fortes températures exigées lors de la purification et de l’isolement des souches archaebactériennes thermophiles, les milieux solides (boîtes de Petri) doivent être en verre et contenir un agent gélifiant thermostable : Gelrite (résistant jusqu’à 100°C).

L’analyse des hyperthermophiles issus des sources hydrothermales a montré que ces microorganismes ne diffèrent pas beaucoup de ceux isolées en milieu côtier.

Ce sont particulièrement des espèces hétérotrophes* qui fermentent les composés organiques et réduisent le soufre élémentaire. Souvent anaérobies* stricts, elles n’acceptent qu’un milieu de culture réduit et une phase gazeuse totalement dépourvue d’oxygène.

La première étape dans l’étude des bactéries* abyssales, consiste à cataloguer les centaines d’espèces recueillies (on parle de numérotation). Le but étant d’obtenir des souches pures. Ces isolats sont ensuite soumis à une batterie de tests qui permettront d’identifier leurs comportements vis-à-vis de la chaleur, des polluants ou encore des hydrocarbures.

Exemple des souches Pyrococcus abyssi, prélevées dans le bassin Nord-fidjien et Thermococcus hydrothermalis récoltées sur la ride Est-Pacifique

Ces souches sont toutes deux des hyperthermophiles prélevées sur la paroi des cheminées hydrothermales. Ces espèces sont anaérobies* et hétérotrophes*, c’est-à-dire qu’elles utilisent la matière organique comme nourriture et le soufre comme source d’énergie.

Dans ces conditions, quelques problèmes se posent lors de leur mise en culture :

  • La présence du soufre. Celui-ci est ajouté dans le milieu de culture des archéobactéries hétérotrophes* afin de fixer le dihydrogène qui pourrait les intoxiquer, mais il se forme alors du sulfure d’hydrogène H2S qui lui aussi est toxique, irritant et malodorant.
  • Le travail à haute température.
  • La culture en absence d’oxygène.

Le matériel utilisé doit évidemment être adapté puisque ces conditions d’expérimentations sont particulièrement corrosives. Le matériel de laboratoire courant n’y résisterait pas (problèmes de corrosion). On emploie donc des récipients en aciers spéciaux, du type de ceux utilisés pour le matériel d’exploration dans l’espace, riches en tungstène.

La majorité des cultures sont réalisées dans des fermenteurs qui permettent de contrôler certains paramètres comme le pH, l’agitation ou encore le débit de l’azote (dégazage du milieu).

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Un fermenteur des laboratoires de Protéus © Protéus

Au laboratoire de l’Ifremer de Brest par exemple, les cultures se pratiquent dans des fermenteurs « gaz lift ». Il s’agit d’un appareil en colonne, traversé en continu par un fort débit d’azote, ce qui permet d’éliminer au fur et à mesure, les produits indésirables (gaz nauséabonds ou toxiques pour les bactéries*). Cette technique permet aussi de cultiver ces microorganismes en l’absence de soufre. Ces fermenteurs de 2 ou 5 litres réalisent des cultures en continu.

Bien que se développant parfaitement à la pression atmosphérique, certains hyperthermophiles présentent un comportement intéressant lorsqu’ils sont soumis à la pression hydrostatique qui règne dans leur biotope d’origine.

Pour étudier leur comportement sous pression hydrostatique, on reproduit à l’intérieur de réacteurs les conditions de pression des grandes profondeurs : les réacteurs sont des cylindres en acier capables de résister sans se déformer à des pressions pouvant atteindre 100 Mpa*. Ils peuvent être selon les besoins chauffés ou refroidis. Dans les deux cas, température et pression sont contrôlées par un système électronique.

Mais les cultures de microorganismes thermophiles destinées à la production d’enzymes* thermostables présentent, malgré tout, quelques inconvénients :

  • Les biomasses* obtenues en fin de culture sont souvent faibles
  • L’utilisation des substrats* est souvent incomplète
  • Certaines souches présentent parfois une instabilité génétique

Ce qui explique que le clonage soit généralement envisagé. Un clonage qui se réalise à l’aide d’hôtes mésophiles* (Escherichia coli ou Bacillus subtilis). En effet, la thermostablité* d’une enzyme* est le plus souvent codée génétiquement. Les protéines* ainsi produites dans des hôtes mésophiles conservent leur caractéristique thermophile. Le produit thermostable peut donc être facilement purifié, et les activités contaminantes de l’hôte thermosensible supprimées par simple dénaturation par la chaleur (chauffage).

De plus, pour que les enzymes* thermostables soient exploitées à grande échelle, les moyens mis en oeuvre pour leur production doivent être économiques et efficaces. Or, la culture des hyperthermophiles nécessite un appareillage spécifique et au vu du faible rendement, cela imputerait des coûts importants. Il semble donc plus économique de faire exprimer le gène* codant pour l’enzyme* par un hôte plus commun comme Escherichia coli. Produire moins cher des enzymes* purifiées pour l’industrie est donc possible.

Des bactéries* très convoitées

Les bactéries* thermophiles : un trésor qui suscite beaucoup d’intérêt

Scientifiques et industriels en conviennent, les microorganismes des sources hydrothermales détiennent des secrets qui laissent rêveurs. Des secrets aux enjeux professionnels, médicaux et scientifiques. En effet, les bactéries* thermophiles permettent d’entrevoir d’innombrables applications dans des domaines parfois très lointains, que ce soit la lutte contre le cancer ou les perspectives de dépollution.

Avec une estimation à plus de 17 milliards de dollars (en 1999), le marché potentiel mondial des enzymes* et des composés organiques issus des extrêmophiles* se porte plutôt bien. C’est en tout cas ce que montre cette estimation de la société Diversa, spécialisée dans la vente d’enzymes* d’archéobactéries hyperthermophiles aux industriels. Pour elle, l’avenir passe en partie par la filière pharmaceutique qui représente à elle seule près de 5 milliards de dollars.

Un phénomène qui est confirmé par la multiplication des dépôts de brevets. Les travaux de recherche sont bien évidemment soutenus par de nombreux programmes publics et privés. Ainsi, l’Union Européenne adhère à cette politique et considère la recherche sur les extrêmophiles* comme une priorité.

Une salle blanche © Protéus
Une salle blanche © Protéus

Elle a d’ailleurs mis en place des programmes biotechnologiques dès 1982. Entre 1993 et 1996, le projet « Biotechnologies des extrêmophiles* » a impliqué 39 laboratoires européens et fut un véritable succès.

De 1996 à 1999, dans le cadre du 4e programme commun de recherche et développement, le projet « Les extrêmophiles* comme usines cellulaires » a impliqué plus de 58 institutions pour un budget de près 46 millions de francs. Son objectif était de parvenir à produire des enzymes* industrielles (hydrolases et ADN* polymérases), voire d’autres molécules, à partir d’extrêmophiles* spécifiques.

Entre 2001 et 2004, le programme « Pyred », soutenu par l’Union Européenne, a eu pour objectif d’étudier les thermophiles Thermococcales et de mieux déterminer leurs potentialités industrielles.

Les Etats-Unis ne sont pas en reste puisque plusieurs grands organismes de recherche ont eux aussi développé leur propre programme sur les extrêmophiles* :

  • La Scripps Institution of Oceanography (La Jolla, Californie, Etats-Unis)
  • Le Woods Hole Oceanographic Institution (Woods Hole, Massachusetts, Etats-Unis)
  • Le National Cancer Institute (Bethesda, Maryland, Etats-Unis)

En 1998, la National Scientific Fondation a même lancé un appel d’offres de 6 millions de dollars sur l’étude de la vie des extrêmophiles*.

Cet enthousiasme a gagné petit à petit le reste du monde. D’autres programmes ont également été lancé au Japon impliquant différents organismes de recherche comme le Centre maritime japonais de la science et de la technologie de Tokyo ou encore les universités de Tsukuba et de Kyoto.

En France, le laboratoire Microbiologie et Biotechnologie des extrêmophiles* de l’Ifremer (anciennement LBMH) contribue à caractériser la biodiversité microbienne des sources hydrothermales. Il vise aussi à l’isolement de souches bactériennes et archéennes originales. Le but étant bien sûr de rechercher les valorisations possibles de la collection de microorganismes ainsi constituée.

Parallèlement, ce laboratoire participe aux programmes suivants :

  • Le programme scientifique du GDR* « Groupement de Recherche sur les polysaccharides* microbiens d’origine marine et leurs potentiels biologiques ».

    Son objectif : identifier et valider les propriétés thérapeutiques de nouveaux polysaccharides* d’origine marine.

Les équipes de recherche (Laboratoire hématologie-hémostase, UMR Université Paris 5 et INSERM U428 ; Laboratoire de physiopathologie des tissus non minéralisés, Université Paris 5, Faculté de chirurgie dentaire ; Laboratoire de thérapie cellulaire et de culture de cellules souches hématopoïétique, Université de Bretagne Occidentale, CHU Morvan) impliquées dans ce programme se proposent d’étudier les potentiels thérapeutiques des exopolysaccharides (EPS) produits par des bactéries* marines dans différents domaines de santé humaine (cardiovasculaire, oncologie* et ingénierie tissulaire).

  • Le programme VANAM, Valorisation Alimentaire et non Alimentaire des Macromolécules.

    Ce programme de recherche, mené dans le cadre du Contrat Etat-Région Pays de la Loire, relève du secteur Agroalimentaire – Végétal – Environnement. Parmi ses actions : le développement de nouvelles molécules d’intérêt médical dérivées de polysaccharides* marins (Alteromonas macleodii, Alteromonas infernus).

  • Le programme GIENSAT (cf. Le rôle des polysaccharides*)

    L’engouement pour ces bactéries* extrêmophiles* touche également le secteur privé. Les sociétés se multiplient. En Israël, la société Archaenzyme Ltd. se consacre à l’isolement et au développement d’enzymes* à partir d’archaebactéries pour diverses applications : ligases à ADN*, alcools et glucoses déshydrogénases, protéases*.

La première société française, Protéus, spécialisée dans la vente d’enzymes* d’archéobactéries hyperthermophiles a vu le jour en 1998 dans le cadre d’un accord passé avec l’Ifremer.

Protéus, le spécialiste français des thermophiles

Son principal marché repose sur la biocatalyse (l’utilisation d’enzymes* pour accélérer les réactions chimiques dans les procédés de synthèse à l’échelle industrielle). Un secteur qui intéresse notamment l’industrie pharmaceutique, agroalimentaire, papetière et textile.

Protéus se distingue de ces concurrents, comme le danois Novo Nordisk, en offrant des enzymes* sur mesure, capables de résister à des températures, des taux de solvants ou des pH alcalins extrêmes. Dans ce domaine précis, seul reste en lice l’américain Diversa co. qui, lui, exploite les microorganismes des sources chaudes du parc de Yellowstone.

La jeune société française, quant à elle, profite du partenariat passé avec l’Ifremer pour se constituer une banque de microorganismes. Elle détient en effet une licence d’exploitation exclusive des collections réunies par l’Ifremer à l’occasion de ses campagnes de plongées près des sources hydrothermales. En savoir plus.

En 2004, Seadev, nouvelle entreprise de biotechnologies marines, démarre ses activités sur la technopole de Brest-Iroise. Son objectif est de valoriser les molécules issues des recherches sous-marines profondes de l’Ifremer. Les applications concernent notamment la chimie et l’industrie des cosmétiques. En savoir plus.

Des microorganismes aux atouts indéniables

Des bactéries* pleines d’atouts

 

© Ibrahim Khairov CC BY 4.0 (1)
© Ibrahim Khairov, CC BY 4.0

En amont des procédés industriels, les organismes thermophiles sont pleins d’atouts et séduisent les biotechnologies pour au moins deux raisons :

  • Possibilité d’effectuer des procédés biotechnologiques à des températures élevées.
  • Intérêt des composants moléculaires, et notamment des enzymes*.

En effet, les thermophiles sont capables de produire des enzymes* douées d’activité à des températures nettement plus élevées que les enzymes* des organismes conventionnels.

De plus, les enzymes* thermophiles sont plus stables que les enzymes* mésophiles*, même à des températures modérées, ce qui permet de prolonger leur durée de vie et de mieux supporter l’action d’agents dénaturants, de solvants et de protéases.

Par ailleurs, les conditions de mise en œuvre des réactions biochimiques à grande échelle étant souvent limitées par les paramètres physico-chimiques de l’eau, l’utilisation de microorganismes thermophiles à des fins industrielles est très attrayante.

De nombreux avantages sont liés à l’utilisation de micro-organismes thermophiles

  • L’augmentation de la température accroît le taux de diffusion et la solubilité des composés non gazeux et diminue la solubilité des composés gazeux (oxygène, hydrogène, méthane…). Or, la solubilité est souvent un facteur limitant de la bioconversion des substrats carbonés tels que les hydrocarbures, les composés aromatiques ou les polymères* glucidiques.

Cela peut cependant présenter un inconvénient : en effet, à l’échelle industrielle, les procédés fonctionnant sans oxygène (anaérobies*) seront favorisés à haute température, alors que les conditions d’entretien des fermentations en présence d’oxygène (aérobies) deviennent plus complexes, à cause de l’évaporation de l’eau.

  • L’augmentation de la température diminue la viscosité et la tension superficielle de l’eau, ce qui a des effets bénéfiques sur la fermentation microbienne. En effet, dans les systèmes à grande échelle, le flux de liquide à travers le fermenteur est souvent le facteur limitant du processus. Or, avec une augmentation du taux de diffusion des substrats* et une diminution de la viscosité du milieu, le flux est plus performant. Ainsi, l’efficacité du mélange est augmentée et la force à donner aux agitateurs est diminuée, on a donc besoin de moins d’énergie pour homogénéiser la culture.
  • Les contaminations des milieux de culture par les différents phages ou bactéries* parasites sont moins fréquemment observées dans les fermentations menées à hautes températures, le spectre des micro-organismes supportant de telles températures étant moins vaste.
  • À haute température, la récupération des produits de catalyse ou de fermentation est plus aisée en raison de la diminution de la viscosité du milieu de culture et de l’augmentation de solubilité des composés non gazeux. A ces températures, il devient possible, en appliquant un vide modéré ou en ventilant avec du dioxyde de carbone, d’améliorer la distillation des produits volatils qui pourraient inhiber la croissance des cellules, ou qui sont intéressants en eux-mêmes, comme dans le cas de la production d’éthanol.
  • L’activité métabolique entraîne une production de chaleur qui doit être éliminée lorsqu’on utilise des microorganismes mésophiles*. Or, l’équipement réfrigérant et le transfert de chaleur représentent 10% du coût global de la fermentation microbienne. Comme les fermentations thermophiles n’ont pas besoin d’être intensément refroidies, cela constitue une économie d’énergie et diminue le coût du procédé. Lorsqu’il est conduit à haute température, le procédé devient même plus rentable puisque le processus industriel se déroule beaucoup plus rapidement s’il est engendré par des enzymes* thermophiles.
  • Certaines bactéries* issues des abysses supportent une très forte pression. En effet, la pression dans le milieu marin, augmente environ d’une atmosphère normale* (atm) tous les dix mètres atteignant des valeurs proches de 1000 atm (ou 100 Mpa*) aux plus grandes profondeurs. Ces bactéries* ou archéobactéries sont appelées barophiles et ne peuvent croître à des pressions inférieures à 40 Mpa*. Les enzymes* produites par ces bactéries* résistent, elles aussi, à des pressions extrêmes. Ainsi, l’ATCase et le CPSase issues de Pyrococcus abyssi sont capables de supporter, en laboratoire, une incubation à 95°C et à 300 Mpa* pendant des heures. Au contraire, les enzymes* ATCase et CPSase, issue de la bactérie mésophile Escherichia coli, sont inactivées en quelques minutes et en quelques secondes. Ces résultats sont très intéressants dans le cadre d’utilisations industrielles, notamment dans des bioréacteurs à haute pression.

Des enzymes* compétitives

  • Plus résistantes aux températures élevées

Les enzymes* thermophiles catalysent de façon idéale les diverses réactions biochimiques, et ceci, à des températures nettement plus élevées que les enzymes* produites par les organismes mésophiles*. Un facteur très utile car la plupart des réactions industrielles utilisant des biocatalyseurs* sont généralement menées entre 55 et 100°C.

  • Plus résistantes aux pH acides ou basiques

Ces enzymes* sont résistantes. Plus résistantes en tout cas que les mésophiles* face aux agents dénaturants chimiques tels que le SDS (sodium dodécyl sulfate), le chlorure de guanidine, l’urée, les solvants organiques, les détergents ou encore les protéases*. Elles peuvent donc travailler en présence de solvants organiques, supporter des pH acides ou basiques. Elles tolèrent des techniques de purification plus dures tout en obtenant de bons rendements.

  • Plus stables

Les enzymes*, comme toutes les protéines*, se dénaturent au cours du stockage. Ce principe impose au fabricant d’ajouter environ 10% d’activité pour compenser l’inactivation se produisant entre la date de fabrication et la date de péremption du produit. Les thermophiles présentent ici un avantage certain : leur stabilité prolongée. La durée de conservation est donc plus longue. Les réacteurs à enzymes* thermostables immobilisés sont donc opérationnels plus longtemps. Le coût de production en est donc diminué.

Leur utilisation présente, cependant, quelques légers inconvénients. Ainsi, les coûts énergétiques de chauffage sont importants. Sans compter qu’il est difficile de maintenir un réacteur stable pendant de longues périodes à haute température.

Les applications…

Le cas des enzymes*

Les microorganismes thermophiles proposent une multitude d’applications. Une diversité étroitement liée au fait que ces bactéries* sous-marines détiennent de nombreuses enzymes* attractives pour le milieu industriel. Les microorganismes sont donc utilisés soit dans leur intégrité, soit isolément en employant uniquement leurs enzymes* thermostables et d’autres composés cellulaires intéressants.

Cette deuxième option est d’ailleurs la plus répandue. Il est vrai que si les microorganismes présentent un intérêt scientifique, les enzymes* proposent généralement des applications plus concrètes dans le secteur de la microbiologie.

Le succès commercial des enzymes* thermostables se confond d’ailleurs encore aujourd’hui avec l’avènement de la PCR (Polymerase chain reaction ou réaction en chaîne par polymérase), une technique d’amplification génique très puissante désormais courante en biologie moléculaire*.

Le principe consiste à prendre un fragment d’ADN* simple brin et à fabriquer son complémentaire à l’aide d’une ADN polymérase. Si l’on chauffe ensuite la double hélice obtenue, les 2 brins se séparent. Une fois les deux brins refroidis, l’opération est répétée une deuxième fois, puis une troisième, etc. Ce procédé est très intéressant puisqu’il permet d’obtenir rapidement 100 milliards de copies étant donné que chaque étape double le nombre de fragments.

Moins d’un an après les premières réactions, l’ADN* polymérase d’E. coli alors utilisée fut remplacée par Thermus aquaticus ou Taq polymérase (thermophile issue des sources chaudes du parc de Yellowstone), une enzyme* thermostable. Ce choix repose bien sûr, sur l’aptitude de cette nouvelle enzyme* à résister à la chaleur.

À ce jour, la Taq polymérase « naturelle » extraite de Thermus aquaticus n’est plus la seule enzyme* utilisée dans les réactions de PCR. Certaines sociétés commercialisent aussi des Taq recombinantes ainsi que des polymérases issues d’autres microorganismes aux noms souvent évocateurs tels que, par exemple, Pyrococcus furiosus (Pfu polymérase), Thermococcus litoralis (Tli polymérase), Thermus thermophilus (Tth polymérase) etc. Les propriétés et les utilisations de ces différentes enzymes* ne sont pas identiques.

C’est une véritable innovation pour les nombreux domaines qui utilisent la PCR, que ce soit la recherche fondamentale, la médecine légale et clinique ou encore le monde des cosmétiques. La PCR est très pratiquée dans ce secteur ainsi que dans l’agroalimentaire pour vérifier l’absence d’organismes génétiquement modifiés (OGM).

Plusieurs kits de diagnostic médical et microbiologique emploient également cette technique pour la détection de virus pathogènes. Roche a commercialisé par exemple en 1996 des kits de diagnostic du virus HIV ou VIH (Human Immunodefiency Virus ou Virus de l’Immuno-déficience Humaine – virus du SIDA) et, plus récemment, des kits de détection de la tuberculose.

La PCR (Polymerase chain reaction ou réaction de polymérisation en chaîne)

Inventée par Mullis et Faloona, la PCR a révolutionné la microbiologie. Cette technique faisait appel à l’ADN* polymérase d’Escherichia coli (E. coli). Mais cette enzyme* a rapidement dévoilé ses limites. Elle présentait en effet l’inconvénient majeur de ne pas supporter le chauffage à 95°C. Ce chauffage est pourtant nécessaire à la séparation des 2 brins d’ADN*. Chaque nouveau cycle réclamait donc l’ajout d’enzymes*.

En 1986, les biochimistes d’une petite entreprise californienne (ceux-là mêmes qui avaient inventé l’année précédente la technique de la PCR) s’intéressent à une bactérie thermophile, issue des sources chaudes du parc de Yellowstone aux Etats-Unis : Thermus aquaticus (Taq Polymérase). Cette dernière se développe parfaitement entre 50°C et 80°C et sa température optimale avoisine les 70°C.

Plus important encore, elle se révèle stable à la température adéquate pour dénaturer la double hélice (94°C). Une caractéristique qui évite le refroidissement entre les différents cycles.

La PCR gagne donc en simplicité et son automatisation accélère considérablement le procédé (3 à 4 heures seulement au lieu de plusieurs jours).

Pyrococcus abyss © Ifremer
Pyrococcus abyss © Ifremer

Cependant, la Taq Polymérase possède aussi un inconvénient majeur : elle amplifie l’ADN* avec une fidélité relativement faible. Le taux d’erreur moyen par substitution de base est de 2.10-5. Les mutations ainsi provoquées augmentent de façon arithmétique avec le nombre de cycles. Ce phénomène n’est pas forcément gênant, car les bases mal incorporées sont distribuées au hasard, tout au long de la molécule d’ADN*, ce qui correspond à un taux d’erreur très faible en un site donné par rapport au pourcentage d’erreur total.

Ainsi, la séquence que l’on voulait amplifier sélectivement est tout de même correcte dans la grande majorité des molécules obtenues. Cependant, certaines amplifications de la PCR ont besoin d’une fidélité bien plus grande de synthèse de l’ADN*, particulièrement lorsque l’on veut cloner directement les produits amplifiés ou que l’on veut détecter des mutations ponctuelles spécifiques dans certaines séquences.

On a donc cherché de nouvelles ADN* polymérases assurant une copie plus fidèle de l’ADN* que la Taq polymérase. C’est ainsi que l’on a isolé l’ADN* polymérase de l’archéobactérie hyperthermophile Pyrococcus furiosus, appelée Pfu polymérase. Cette enzyme* conserve plus de 95% de son activité après 1 h d’incubation à 95°C.

Sa température optimale d’activité est aussi de 75°C. Mais la grande différence repose sur un taux d’erreur moyen de seulement 1,6.10-6. Ainsi, si une séquence de 1000 paires de bases est amplifiée pendant 20 cycles avec la Pfu polymérase, seulement 3,2% des produits d’amplification contiendront des mutations, alors que la Taq polymérase dans les mêmes conditions réalise une amplification donnant près de 40% de produits mutants.

La Taq et la Pfu polymérase sont actuellement disponibles commercialement. Les gènes* de ces enzymes* ont été clonés dans E. coli pour en faciliter la production et la purification.

Plusieurs ADN* polymérases hyperthermostables et thermophiles venues des grands fonds cherchent à concurrencer la Taq et Pfu polymérase. En effet, la collaboration entre Ifremer et la société de biotechnologies Q.biogene a permis le développement d’une nouvelle ADN* polymérase thermostable : Isis. Elle est issue de l’archéobactérie Pyrococcus abyssi et présente de nombreux avantages :

  • Elle peut subir de nombreux cycles de PCR sans perte d’activité
  • Elle est capable de copier un brin d’ADN* sans commettre d’erreur
  • Elle est susceptible d’amplifier de grands fragments d’ADN*.

D’autres techniques de biologie moléculaire* font bien évidemment appel aux enzymes* thermostables. La LCR (Ligase chain reaction) par exemple fonctionne avec la Tth ligase issue de Thermus thermophilus pour détecter les maladies génétiques.

La LCR (Ligase Chain Reaction ou réaction en chaîne par ligase)

La LCR permet d’identifier les gènes* anormaux. C’est une technique d’amplification génique exponentielle, comme la PCR.

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Cette technique consiste, tout d’abord, à dénaturer l’ADN* double brin en le chauffant à 95°C. L’ADN* monocaténaire ainsi formé est mis en contact avec des amorces oligonucléotidiques complémentaires et de l’ADN* ligase. Seuls les oligonucléotides adjacents et parfaitement complémentaires du brin d’ADN* modèle seront reliés. Par contre, une mutation, même minime, empêchera la formation du nouveau brin.

L’utilisation d’une ADN* ligase thermostable permet des cycles d’amplification répétés, sans avoir besoin de rajouter l’enzyme* à chaque nouveau cycle. Exactement comme pour la PCR. Actuellement on connaît 3 ADN* ligases thermostables, supportant des expositions répétées à 95°C (dont Tth ligase issue de Thermus thermophilus). Ils sont commercialisés sous forme d’enzymes* recombinantes en les exprimant dans E. coli.

Les enzymes* découvertes dans les abysses hydrothermales assurent aussi la fabrication en grande quantité des dérivés de l’amidon. Dérivés qui interviennent aussi bien dans la fabrication de confiserie et de pâtisserie que dans les substrats* bon marché pour les fermentations industrielles.

En savoir + : Les dérivés de l’amidon

L’amidon est l’une des deux sources de carbone les plus largement répandues dans la nature avec la cellulose*. Il est produit par les plantes et se compose :

  • d’amylose*
  • d’amylopectine*

Il est notamment utilisé dans l’industrie alimentaire (boissons, confiserie, boulangerie…) ou dans des industries diverses : fermentations, traitement de surface, colles, chimie fine, pharmacie, cosmétologie, papeterie, matières plastiques biodégradables, etc…

Différentes enzymes* interviennent dans le processus de transformation de l’amidon en sirops de sucres :

  • α-amylase* (α = alpha)
  • β-amylase* (β = bêta)
  • pullulanase
  • α-glucosidase
  • glucose
  • isomérase.

Actuellement, la bioconversion de l’amidon se déroule en 3 étapes :

  • La liquéfaction : cette première étape consiste à transformer l’amidon en maltose et maltodextrines grâce à l’action d’une ?-amylase*. Actuellement, on utilise une ?-amylase* thermostable issue d’une bactérie mésophile. Bien que la température optimale de croissance de cet organisme ne soit que de 30°C, son ?-amylase*, qui possède une activité maximale à 100°C, fait partie, avec les enzymes* de quelques microorganismes hyperthermophiles, des ?-amylases* les plus thermostables connues. L’utilisation d’enzymes* issues de thermophiles n’apporterait aucune amélioration au procédé existant de liquéfaction de l’amidon.
  • La saccharification : elle permet d’obtenir des sirops de glucose à partir du maltose et des maltodextrines provenant de l’étape de liquéfaction. On fait agir sur le maltose et les maltodextrines un mélange d’?-glucosidase et de pullulanase. Les enzymes* actuellement utilisées sont les d’?-glucosidases des champignons mésophiles*. Ces enzymes* opèrent de façon optimale à 55°C et perdent rapidement leur activité à 60°C.
  • L’isomérisation : les sirops de glucose obtenus après l’étape de saccharification peuvent être utilisés tels que ou être transformés en sirops riches en fructose grâce à l’action d’une glucose isomérase. Le fructose, isomère du glucose, est en effet très employé comme édulcorant car c’est le plus sucré de tous les sucres naturels.
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Ce procédé présente des inconvénients :

  • des conditions différentes de température et de pH diffèrent selon chaque réaction et domaine de stabilité de l’enzyme* utilisée. Ainsi, la liquéfaction s’effectue à 98°C et à pH 6, il faut ensuite refroidir la solution à 60°C pour la saccharification (pH 4), puis la réchauffer jusqu’à 75°C pour l’isomérisation (pH 8).
  • l’ensemble de ces réactions produit de grandes quantités de sels, qu’il faut éliminer avec les échangeurs d’ions.

L’obtention d’enzymes* thermoactives et thermostables compatibles avec les conditions de liquéfaction et saccharification permettrait de réaliser en une seule étape la conversion de l’amidon en sirops de sucres et diminuerait le coût de production des sirops de glucose.

Ainsi, différentes amylases* sont étudiées pour remplacer celles utilisées actuellement. L’une d’elle est produite par Thermococcus profondus. Sa température optimale est de 80°C, son pH de 5,5-6 et sa thermostabilité* est accrue en présence de calcium et d’amidon.

Les enzymes* issues des sources hydrothermales laissent aussi entrevoir des perspectives dans l’alimentation animale, dans l’industrie papetière ou encore en cosmétologie…

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L’alimentation animale

La préparation des « plaquettes » d’aliments composés pour les animaux, porcs ou volailles, réclame des activités enzymatiques qui répondent à des conditions de production spéciales (pH, température, stabilité à la pression ou présence de solvants). La fabrication de ces aliments passe par la dégradation de polymères tels que le xylane* et l’amidon. Elle s’effectue à haute température, entre 70 et 110°C. Or, les enzymes* issues de sources hydrothermales supportent parfaitement ces conditions dans leur milieu naturel.

Par ailleurs, l’utilisation de ces enzymes* permettrait de dégrader la paroi des végétaux (les céréales – avoine, blé – sont à la base de cette nourriture) qui n’est malheureusement pas assimilée directement par l’animal.

L’Ifremer tente d’apporter des réponses à ces industriels et a passé au crible sa collection de souches en étudiant, par voie biochimique, les activités demandées. Les résultats ont été positifs. La deuxième phase a alors consisté à identifier les gènes* codants pour les enzymes* recherchées. La bio-informatique permet donc de comparer les séquences disponibles de gènes* « codants » pour ces activités. La PCR permet ensuite aux scientifiques une amplification afin d’aboutir aux gènes* recherchés de façon précise.

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L’industrie du papier

Les industriels du papier utilisent des composés chlorés fortement polluants pour blanchir le papier. Les scientifiques se penchent donc sur la recherche de produits de substitution. Des enzymes* telles que les xylanases (issue de l’archéobactérie Pyrodictium abyssi) sont d’ailleurs de plus en plus utilisées pour le blanchiment du papier car elles sont capables de fonctionner dans des conditions de forte alcalinité et à une température de 70°C.

Faciles à produire et à purifier, résistantes aux conditions d’utilisation industrielle, les enzymes* thermophiles pourraient supplanter leurs homologues dits « classiques » dans plusieurs domaines d’application. Sans compter que les molécules hydrothermales cachent de nombreux autres trésors.

La membrane lipidique et les parois cellulaires

Les archéobactéries thermophiles possèdent notamment une membrane lipidique et une paroi cellulaire hors du commun. De quoi intéresser le milieu pharmaceutique et les sociétés spécialisée en cosmétologie. Ces lipides* sont particulièrement intéressant dans la construction de liposomes thermostables (les liposomes sont de petites vésicules sphériques constituées par un assemblage lipidique, au sein desquelles on peut placer diverses molécules qui se trouvent alors séparées du milieu externe). Pratique donc pour réaliser des suspensions stables et homogènes qui véhiculent divers principes actifs.

Les liposomes peuvent ainsi véhiculer des médicaments dans l’organisme (vaccins…). Ils peuvent également être utilisé en cosmétologie. En effet, dans ce domaine, de nombreuses substances (antioxydants, collagène, etc.) sont en général appliquées localement sous forme d’émulsion huileuse ou de solution alcoolique. Or, l’huile et l’alcool peuvent endommager la peau en cas d’application prolongée. L’encapsulation dans des liposomes permet donc de contourner ce problème.

Les liposomes thermostables

Les liposomes de lipides* archéens constituent des structures particulièrement stables et étanches mêmes aux pH les plus extrêmes et aux concentrations salines élevées. De plus, l’utilisation des lipides* bipolaires tétraéthers permet d’obtenir des liposomes monocouches qui ont la particularité d’être particulièrement résistants aux hautes températures.

C’est un avantage considérable. Cela permet simplement de supprimer, par simple autoclavage*, les contaminants microbiens et viraux éventuellement présents dans les liposomes. Ce procédé est impossible avec des liposomes normaux dérivés du polyester. Ils perdent leur intégrité structurelle. Ces liposomes thermostables ont été réalisés à partir des extraits lipidiques polaires d’archéobactéries thermophiles tels que Methanococcus jannashii.

Les lipides* membranaires archéens et leurs dérivés synthétiques sont aussi utilisés pour la fabrication de membranes de synthèse. Les membranes ainsi obtenues sont très performantes et particulièrement résistantes. Elles sont employées dans divers procédés tels que la désalinisation ou la filtration de diverses solutions.

Le rôle des polysaccharides*

A l’instar des microorganismes thermophiles, il existe chez les mésophiles* issus des écosystèmes hydrothermaux profonds quelques bactéries* aux propriétés toutes aussi captivantes. Ces microorganismes sont des sources potentielles de polymères* qui présentent un intérêt biotechnologique. Parmi ces polymères*, il convient de citer les polyesters « biodégradables » et les exopolysaccharides bactériens.

Ces polysaccharides* ont des caractéristiques très intéressantes tels que :

  • Faciliter l’adhésion bactérienne aux surfaces
  • Piéger les oligo-éléments nécessaires à la croissance des micro-organismes à l’intérieur d’un biofilm,
  • Protéger contre les agressions biologiques ou chimiques.

Polymères* bactériens d’origine hydrothermale

Certains polymères* ont des structures proches de polymères* déjà commercialisés. Ainsi, le polymère produit par la bactérie hydrothermale Vibrio diabolicus a une composition chimique proche de celle de l’héparine, polysaccharide d’origine animale qui possède des activités biologiques (activités anticoagulantes) importantes.

Des études sont également en cours afin de modifier, par voie enzymatique ou chimique, la nature et la structure de ces polysaccharides*. L’objectif : leur conférer des activités et/ou des propriétés spécifiques. Par exemple, des études visent à sulfater et à dépolymériser par hydrolyse* chimique ou par voie radicalaire, quelques polysaccharides*, l’ensemble de ces modifications ayant pour objet de générer chez ces polymères* modifiés des activités biologiques et des applications dans le domaine pharmaceutique.

L’environnement pourrait d’ailleurs profiter des largesses de ces polysaccharides* pour réaliser des matériaux « biosorbants* ». Une hypothèse qui apparaît désormais comme une alternative aux techniques conventionnelles de récupération des métaux, souvent coûteuses et peu performantes.

Depuis moins d’un an, une nouvelle application est apparue avec les polyesters biodégradables : sept souches ont été isolées qui permettront la production de plastiques biodégradables.

Matériaux biosorbants* pour lutter contre la pollution par les métaux lourds

Utiliser des métaux dans le secteur industriel n’est pas sans conséquences. Les résidus toxiques sont disséminés dans l’environnement. Et c’est un phénomène qui ne cesse d’augmenter (exemple : effluents industriels aqueux). Un phénomène qui représente un danger important pour les organismes vivants, notamment du fait de l’accumulation des métaux lourds dans la chaîne alimentaire.

La présence de micro-organismes dans les milieux hydrothermaux où règnent de fortes teneurs en métaux lourds, laisse supposer que ces microorganismes s’y sont adaptés.

Certains d’entre eux comme les exopolysaccharides bactériens présentent même des fonctions acides ou aminées qui leur confèrent d’importantes propriétés de rétention de métaux. Ces polymères* sont donc logiquement considérés comme de potentiels substituts aux polymères* et résines synthétiques utilisés à cet effet.

De nombreux secteurs industriels sont également intéressés par ces polysaccharides* :

  • Industrie du pétrole (récupération assistée du pétrole)
  • Industrie agroalimentaire (agents texturants : épaississants, gélifiants, stabilisants, etc…
  • Industrie dans le domaine de la chimie et des produits phytosanitaires (enrobage de semences ou de pesticides)
  • Cosmétologie, industrie pharmaceutique (régénérations tissulaires pour les os, les problèmes de derme ; chirurgie dentaire)
  • Environnement (biosorbants*).

Biopolymère*

Origine (exemples de microorganismes producteurs de ces polysaccharides*)

Propriétés fonctionnelles

Applications

Xanthane

Xanthomonas campestris

Epaississant

Pétrole, Industrie agroalimentaire

Gellane

Sphingomonas sp

Gélifiant

Industrie agroalimentaire

Curdlane

Alcaligenes faecalis var. myxogenes

 

Industrie agroalimentaire

Wellane

 

 

Développement

Rhamsane

 

 

Développement

Dextrane

Leuconostoc mesenteroides

Adsorbants*

Pharmacologie

Alginate

Azotobacter vienlandii

Pseudomonas aeruginosa

Gélifiant

 

Pullulane

Aureobasidium pullulans

Texturant/filmogène

Industrie agroalimentaire

Scéroglucane

Sclerotium sp.

 

Pétrole/ophtalmologie

Cellulose*

Acetobacter xylinum

Epaississant

 

Emulsan

Acetinobacter calcoaceticus

Emulsifiant

Pétrole/chimie

Cyclosporane

Rhizobium/

Agrobacterium sp.

 

 

Phosphomannan

Rhizobium meliloti/

Hansenula sp.

Thixotropie*

Chimie/cosmétologie

Principaux polymères* d’origine microbienne issues des sources hydrothermales profondes.

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L’industrie cosmétique

L’industrie cosmétique est de plus en plus attentive aux microorganismes marins (tels que macroalgues, microalgues, phytoplancton). Un comportement qui se justifie par leur production de molécules originales (polymères*, enzymes*…).

Depuis plusieurs années, les polysaccharides* des bactéries* mésophiles* et les enzymes* thermostables issues des bactéries* et des archéobactéries hydrothermales sont elles aussi convoitées par l’industrie cosmétologique.

Le laboratoire Lanatech s’est donc associé à l’Ifremer et a développé un actif portant le nom de Abyssine 657®. Actif dont l’exopolysaccharide, le Deepsane, est issue d’Alteromonas macleodii. Le polysaccharide est synthétisé par ce microorganisme avant d’être évacué. Une fois précipité, purifié, séché, il se présente sous forme de fibres cotonneuses d’un blanc éclatant. Son analyse structurale montre qu’il s’agit d’un résidu d’acide glucuronique substitué en 3 par un groupement lactate. Ses propriétés sont enthousiasmantes pour les industriels : anti-UV, effet anti-irritant et restructurant.

Vénuceane®, quant à lui, a été développé par le laboratoire Sederma en partenariat avec le CNRS. Il est issu de Thermus thermophilus, isolée à près de 2000 mètres sur les flancs d’un fumeur noir dans le bassin de Guymas du golfe de Californie. Cette bactérie vit sous 20 Mpa* de pression à une température optimale de 72°C sans parler des concentrations salines élevées. L’actif est aujourd’hui commercialisé sous forme de solution hydroglycolique (eau, glycérine) et il est utilisé pour sa capacité à inhiber les espèces oxydantes toxiques et à protéger les cellules contre les rayons UV. C’est un puissant antioxydant activé par la chaleur.

Les polysaccharides* intéressent également les organismes de recherche médicale. Ainsi, le Groupement d’Intérêt Scientifique (Gis) appelé GIENSAT – Groupe Interdisciplinaire d’Etude de Nouvelles Stratégies Anti-Tumorales – a pour mission de découvrir de nouveaux traitements du cancer à partir des produits d’origine marine. Il a développé l’utilisation des polysaccharides* pour limiter les inconvénients de la chimiothérapie en aidant à mieux cibler l’action des médicaments sur les seules cellules malades.

Créé en septembre 2003, le Gis-GIENSAT regroupe le CHU de Brest, le Laboratoire de thérapie cellulaire de l’institut de cancérologie et d’hématologie et le Laboratoire d’anatomie-pathologique. Il faut aussi citer le Laboratoire de biotechnologie des molécules marines de l’IFREMER et le Laboratoire de chimie et de biologie des substances naturelles de la faculté des sciences de l’université de Bretagne Occidentale qui se sont engagés dans l’aventure. Précisons que deux partenaires industriels ont rejoint il y a maintenant près de deux ans le Gis-GIENSAT : le Laboratoire Roche et l’entreprise MAT (Monoclonal Antibody Technology).

Malgré tout et bien qu’ils soient parfois utilisés en remplacement de leurs homologues mésophiles* dans certains procédés biotechnologiques, les microorganismes et enzymes* thermophiles n’ont pas livré tous leurs secrets. D’autant que les industriels n’ont pas encore optimisé leurs potentialités. Les connaissances sur les mécanismes de la thermophilie, sur la physiologie, l’enzymologie et la génétique de ce groupe, découverts il y a seulement une vingtaine d’années restent encore limitées, même si la recherche ne cesse de progresser.

Les microorganismes thermophiles constituent donc un gisement de molécules nouvelles en perpétuelle évolution. Il est d’ailleurs probable que les enzymes* utilisées actuellement dans les différents secteurs industriels aient une version plus stable provenant toutes d’un organisme extrêmophile. Une idée qui laisse rêveur bon nombre d’industriels…

Dans l’avenir, l’étude et la découverte des potentialités de ces organismes et de leurs enzymes* seront facilitées par les techniques de criblages rapides basées sur la biochimie et le génie génétique*, par les études de séquençage systématique des génomes* et par les études de thermostabilité*. Ce domaine est donc en évolution perpétuelle et reste un sujet d’actualité permanent.

Rencontre avec Jean-Paul Raffin, Chercheur au CNRS

Jean-Paul RAFFIN (CNRS)
Jean-Paul RAFFIN (CNRS)

Chercheur au Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS) Biochimie, réplication de l’ADN*. Laboratoire de microbiologie des environnements extrêmes.

« Certaines bactéries* ont montré une résistance à un impact 100 fois supérieur à la bombe atomique d’Hiroshima »

Pourquoi la recherche scientifique et le monde industriel connaissent-ils un tel engouement pour les bactéries* thermophiles ?

Cette attraction pour les thermophiles vient tout simplement du fait que nous nous sommes aperçus des propriétés surprenantes de certaines bactéries*. Les extrêmophiles*, comme leur nom l’indique, prolifèrent dans des conditions de température ou encore de pression très élevée, mais personne n’avait véritablement imaginé à quel point ces conditions pouvaient être justement « extrêmes ».

Certaines bactéries* ont montré une résistance à un impact 100 fois supérieur à la bombe atomique d’Hiroshima. Immédiatement après l’impact, il ne reste pas grand-chose de l’ADN*. Mais moins de 2 heures après, alors que toute forme de vie semblait totalement anéantie, l’ADN* est presque entièrement reconstitué. Le phénomène est spectaculaire !

Bien évidemment, ces bactéries* sont trop lointaines de l’homme pour pouvoir être exploitées directement. C’est là que les archéobactéries deviennent intéressantes. Ces bactéries* hydrothermales sont captivantes puisqu’elles possèdent d’énormes similitudes avec l’homme au niveau des facteurs de réplication, et qu’elles proposent aussi une résistance aux conditions de vie extrêmes. Ces deux critères permettent d’envisager des manipulations notamment dans le cadre de la maintenance du génome*. Sans oublier bien entendu les innombrables applications concernant l’industrie (cosmétique, papetière, pollution…).

Les bactéries* thermophiles ouvrent-elles encore la voie à de nouvelles applications ?

On ne peut pas véritablement parler de nouvelles applications. Mais bien entendu les bactéries* thermophiles sont souvent synonymes de solutions qui, jusque-là, apparaissaient inenvisageables.

C’est le cas notamment dans le traitement de l’ADN* endommagé. De nouvelles techniques de travail avec des polymérases chaudes permettent d’entrevoir d’énormes avancées dans les projets de maintenance génomique (maintenance de l’ADN*). Les accidents ou encore la détérioration de l’ADN* ne seront peut-être plus irréversibles dans les années à venir.

La recherche sur ces organismes issus des sources hydrothermales pourrait donc apporter des solutions visant à réparer les erreurs de réplication de l’ADN*. Une véritable opportunité pour la recherche médicale, notamment dans le domaine de l’oncologie*. Mais c’est aussi une avancée sans comparaison dans le secteur des tests médicaux légaux, des tests cliniques et pour l’ensemble des techniques de biologie moléculaire*.

Cette technique ferait figure de véritable révolution. Elle permettrait de passer d’une méthode considérée comme une « simple technique » d’amplification du génome* (PCR) à une technique de reconstitution du génome*. On pourrait alors par exemple déterminer l’ADN* d’espèces animales disparues pour distinguer les différences avec les animaux actuels…

Sur quel principe repose ces nouvelles recherches ?

Ces recherches résultent de la découverte d’une enzyme* : l’ADN* polymérase translésionnelle. Une enzyme* qui offre la possibilité de passer outre les accidents ou plutôt de réparer certains évènements indésirables.

En simplifiant, l’ADN* est constitué de deux brins en vis-à-vis. Sur chaque brin, il existe une succession de 4 types de bases (adénine, guanine, thymine, uracile) qui sont associées aux bases voisines de l’autre brin. L’accident que j’ai évoqué précédemment correspond par exemple à l’absence d‘une base dans cette succession. L’ADN* polymérase translésionnelle est alors très intéressante puisqu’elle permet de combler cette lacune. L’enzyme* insère tout simplement une nouvelle base sur le brin.

A l’heure actuelle, ces recherches progressent mais elles n’en sont encore qu’à leur balbutiement. En effet, si l’on comprend désormais ce phénomène, il reste encore de nombreux points d’ombre pour véritablement exploiter cette découverte. Par exemple, nous ne savons toujours pas exactement par quelle information la base manquante est remplacée même s’il semblerait que ce soit généralement une base adénine qui est utilisée pour combler ce vide.

Ce système permet d’entrevoir des solutions lors des « dérèglements de notre machinerie génétique » comme certains cancers peuvent l’occasionner. Des solutions qui éviteraient peut-être la mort de la cellule. Mais ce ne sont encore que des hypothèses…

Rencontre avec Gilles Ravot, Directeur Scientifique de la Société Protéus

Gilles RAVOT (Protéus)
Gilles RAVOT (Protéus)

Microbiologiste et Directeur Scientifique Société Protéus.

« Les applications directes ou indirectes de ces enzymes* sont infinies. »

Microbiologiste et Directeur Scientifique Société Protéus.

Protéus développe des applications à partir des micro-organismes marins mais en quoi son activité est-elle différente des autres sociétés ?

Protéus est assez originale dans ce secteur. C’est la seule société française, ou presque, à développer les applications issues des bactéries* hydrothermales. Une politique réalisable grâce au partenariat passé avec l’Ifremer lors de la création de l’entreprise en 1998 et qui nous offre la possibilité d’accéder à une véritable banque de micro-organismes marins.

Notre métier consiste donc à découvrir et à développer des protéines* d’intérêt industriel issues de ces organismes marins. Nous nous intéressons plus particulièrement aux protéines* à activités catalytiques (c’est-à-dire aux enzymes*) et notamment à celles provenant de micro-organismes extrêmophiles*.

Quelles sont les grandes étapes mise en œuvre par Protéus dans cette recherche d’applications ?

Le partenariat avec l’Ifremer évoqué précédemment nous donne accès à la biodiversité qui peuple les grands fonds. Dans cette biodiversité, notre travail consiste à rechercher les molécules qui ont un potentiel que l’on pourrait qualifier « d’industriel ». Bref, on passe au crible les microorganismes de ces milieux pour mettre en évidence les enzymes* pertinentes en vue d’application. La première étape consiste donc à identifier les micro-organismes exprimant les enzymes* intéressants.

Une fois découverte, l’enzyme* qui répond à l’application est isolée et caractérisée. Si la réponse à l’application n’est pas parfaite et que l’enzyme ne propose qu’une solution partielle (active à une autre température ou à un autre pH par exemple), nous allons faire évoluer cette protéine*. On essaye simplement de faire coïncider les caractéristiques de l’enzyme* avec les caractéristiques de l’application. Pour y parvenir, nous avons mis au point plusieurs techniques d’évolution dirigée, aujourd’hui brevetées, dont le « L-shuffling ».

L’évolution dirigée par « L-shuffling »

Protéus a choisi d’aborder la biocatalyse en combinant 2 voies complémentaires : la biodiversité et la biologie combinatoire. Cette dernière technologie permet d’adapter les caractéristiques d’une enzyme* en générant de nouveaux variants aux propriétés nouvelles (ou améliorées) par recombinaison de gènes parentaux.

La société Protéus dispose pour cela de sa propre technologie de gène shuffling, baptisée « L-shuffling » pour adapter les enzymes aux contraintes industrielles. Contrairement aux méthodes basées sur la mutagénèse, cette méthode permet d’obtenir des adaptations spectaculaires. Elle se révèle particulièrement utile pour compléter l’évolution naturelle. En combinant, criblage de la biodiversité naturelle (et notamment extrêmophile*) et évolution dirigée, Protéus réunit les approches les plus pertinentes pour délivrer les enzymes originales qu’attend l’industrie pour synthétiser les produits du futur.

Dès que le résultat est obtenu, nous mettons au point le procédé de fabrication puis nous lançons la production. Enfin, nous nous efforçons de trouver la formulation optimale de la protéine* pour l’application et le procédé visés.

Les bactéries* thermophiles issues des sources hydrothermales offrent-elles de nombreuses applications ?

Sans aucun doute. Les débouchés de ces recherches ne cessent de s’élargir. Comme je vous l’ai dit, ces bactéries* produisent des enzymes*. Des enzymes* qui sont déjà aujourd’hui, omniprésentes dans le monde industriel. Et c’est peu dire puisque les applications directes ou indirectes de ces enzymes* sont infinies. On les trouve partout, comme les lessives ou des protéases*, des lipases* et même des amylases* sont utilisées pour faciliter la dégradation des macromolécules à l’origine des tâches. Dans l’alimentation animale, les enzymes* améliorent la digestibilité des aliments. Dans l’industrie papetière, les enzymes* sont utilisées dans le traitement des pâtes à papier (blanchiment, et amélioration des propriétés physique de la pâte) La liste des applications pourrait être longue…

Mais ce n’est pas tout. Les enzymes* interviennent aussi et surtout comme auxiliaires technologiques. Autrement dit, elles sont utilisées dans des procédés industriels pour la conception d’autres produits. C’est notamment le cas des biocatalyseurs* qui sont utilisés en synthèse chimique. Ce domaine représente vraisemblablement la partie la plus importante de notre activité.

Glossaire

Acide désoxyribonucléique (ADN ou DNA chez les anglo-saxons) : Acide nucléique, constituant chimique essentiel des chromosomes du noyau des cellules vivantes.

L’ADN est composé de deux brins torsadés qui forment une double hélice et qui sont liés entre eux par des paires de bases azotées : l’adénine (A), la thymine (T), la cytosine (C), la guanine (G). L’ADN d’une seule cellule humaine mesurerait près de 2 mètres, s’il était déroulé, et contiendrait l’équivalent en information de 600 000 pages d’écriture.

Acides nucléiques : Constituants fondamentaux de la cellule vivante, porteurs de l’information génétique, polymères constitués de très nombreuses unités de nucléotides.

On les divise en 2 groupes selon le type d’ose (sucre) qui entre dans leur composition :

  • l’acide désoxyribonucléique (ADN ou DNA chez les anglo-saxons)
  • les acides ribonucléiques (ARN).

Adsorber : Fixer des ions libres, des atomes ou des molécules à la surface d’une substance.

Amylase : Enzyme facilitant la transformation de l’amidon insoluble en maltose.

Amylopectine : Polysaccharide de l’amidon ou de la fécule dont les macromolécules présentent une structure ramifiée.

Amylose : Polysaccharide de l’amidon ou de la fécule dont les macromolécules présentent une structure à prédominance linéaire.

Anaérobie : Qui peut vivre en l’absence d’oxygène.

Anaérobiose : Ensemble des conditions nécessaires au développement des organismes anaérobies.

Anoxique : Qui se rapporte à l’absence ou à une diminution importante de la quantité d’oxygène.

Arbre phylogénétique : Arbre qui montre les relations de parentés entre les espèces ou d’autres entités supposées avoir un ancêtre commun.

Atmosphère normale : Ancienne unité de pression atmosphérique. 1 atm correspond à 1,013.105 pascals.

Autoclavage : Action de passer un produit en autoclave. Un autoclave est un récipient fermé par un couvercle, destiné à obtenir et à maintenir, grâce à la pression qui s’y développe, la température élevée (120 °C) nécessaire pour stériliser les substances et le matériel enfermés à l’intérieur.

Bactérie : Micro-organisme unicellulaire. Sa cellule ne comporte pas de noyau. La bactérie est le plus petit organisme autonome, ni animal, ni végétal. Certaines bactéries sont des microbes qui provoquent des maladies (rhume, …) mais d’autres sont très utiles à l’homme (fabrication d’aliments, …)

Basalte : Roche magmatique qui constitue, avec les andésites à pyroxène, 95% des laves continentales et océaniques.

Biocatalyseur : Macromolécule biologique, cellule, organite cellulaire ou microorganisme, porteur d’activité catalytique (enzymatique). Un catalyseur est une substance qui, utilisée en faible proportion, augmente la vitesse d’une réaction chimique et qui, théoriquement, reste chimiquement inchangée à la fin de la réaction.

Biologie moléculaire : Discipline scientifique dont l’objet est la compréhension des mécanismes de fonctionnement de la cellule au niveau moléculaire. Le terme « biologie moléculaire » désigne également toutes les techniques de manipulations d’acides nucléiques (ADN, ARN).

Biomasse : Masse de l’ensemble des organismes vivant dans un biotope délimité.

Biopolymère : Ensemble des macromolécules biologiques résultant de l’assemblage de molécules plus simples ou monomères.

Biosorbant : Microorganismes qui, seuls ou en conjonction d’un substrat, peuvent extraire et/ou concentrer une molécule désirée par sa rétention sélective.

Biotransformation : Terme général s’appliquant à toute transformation d’une substance par un biocatalyseur.

Cellulose : Polymère du glucose. La cellulose, constituant essentiel des membranes végétales, ne peut pas être digérée par le tube digestif de l’homme qui est dépourvu d’enzymes spécifiques. Par contre, elle est indispensable pour que le transit intestinal s’effectue normalement car son volume assure l’efficacité des mouvements intestinaux. On dit qu’elle joue le rôle de lest ou de ballast. Elle est utilisée notamment dans la médecine (matériel de pansement), l’industrie papetière (fabrication de la pâte à papier), l’industrie textile (coton, jute, lin, …).

Chimiosynthétiques sulfo-oxydantes : Ces bactéries transforment les sulfures en soufre et le soufre en acide sulfurique.

Convection : Transport de chaleur sous l’effet des mouvements d’un liquide, d’un gaz…

Croûte océanique : Elle représente 60% de la surface terrestre et forme essentiellement le fond des océans. Elle est beaucoup plus fine (5 à 7 km en général) que la croûte continentale et est formée de roches basaltiques et de gabbros.

Dorsale océanique : Ligne continue de montagnes sous-marines, lieu où se forme la croûte océanique

Enzyme : Les enzymes sont des protéines macro-moléculaires qui catalysent la quasi-totalité des réactions chimiques dans les organismes vivants. Par exemple, lors de la digestion, ce sont des enzymes qui accélèrent la décomposition et la transformation des aliments.

Les enzymes isolées peuvent être utilisables soit directement dans des secteurs industriels variés (détergents, textile, cuir, médicament, papier, alimentation), soit indirectement, comme catalyseurs dans les processus biochimiques.

Extrêmophiles : Un nombre plus que surprenant de microorganismes s’épanouit dans des conditions que l’on peut qualifier pour le moins d’extrême. Répartis en différents groupes, ils occupent des niches écologiques souvent caractéristiques : forte pression, forte température, milieu acide…

Extrêmophiles :

  • Thermophiles : croissance optimale à des températures élevées
  • Cryophiles : croissance optimale à des températures basses
  • Alcalophiles : croissance optimale à des pH élevés
  • Acidophiles : croissance optimale à des pH bas
  • Halophiles : croissance optimale lorsque la salinité est élevée
  • Barophiles : croissance optimale aux hautes pressions

Dans un biotope donné, plusieurs paramètres extrêmes peuvent souvent se cumuler. On rencontre par exemple des espèces baro-thermophiles au niveau des sources chaudes dans les grands fonds océaniques où la température et la pression sont élevées.

GDR : Groupe de recherche associant, autour d’un programme, différents laboratoires et structures de recherche.

Gène : Petit segment d’ADN qui indique aux cellules de l’organisme comment fabriquer les protéines. L’ADN des cellules humaines comporte environ 30 000 gènes. Chaque gène est formé de codons et chacun de ces codons est formé de 3 bases azotées, choisies parmi les 4 sortes de bases azotées possibles (l’adénine (A), la thymine (T), la cytosine (C), la guanine (G)).

Génie génétique : Ensemble de techniques qui permettent la manipulation des gènes. Les applications les plus récentes du génie génétique sont la thérapie génique, pour soigner certaines maladies héréditaires, et la création de nouveaux organismes, appelés « organismes transgéniques » ou « organismes génétiquement modifiés » (OGM), qui présentent des caractéristiques intéressantes pour l’agriculture, l’élevage et la santé.

Génome : Ensemble des gènes portés par les chromosomes.

Géothermique : Relatif à la chaleur de la Terre. (Synonyme : géothermal)

Hétérotrophe : Organisme vivant incapable de produire sa propre matière organique à partir de matière minérale. Les hétérotrophes se procurent donc leur matière organique en la prélevant soit sur d’autres organismes vivants (cas des prédateurs, des parasites) ou morts (nécrophages) soit sur les restes d’autres êtres vivants (feuilles mortes, excréments…).

Hydrolyser : Soumettre (une substance) à une réaction chimique de double décomposition par l’action de l’eau.

Au cours de l’hydrolyse d’une substance, les molécules d’eau se dissocient pour former de nouvelles molécules avec les éléments de la substance hydrolysée. L’hydrolyse est utilisée dans de nombreux secteurs industriels. Dans l’industrie alimentaire, par exemple, certaines protéines sont hydrolysées pour en diminuer le potentiel allergène ou en favoriser l’absorption dans l’organisme.

Lipase : Enzyme qui active l’hydrolyse des lipides, libérant des acides gras.

Lipides : Nom générique des esters d’acides gras rencontrés dans les tissus vivants, de poids moléculaires élevés, et qui sont caractérisés par leur insolubilité dans l’eau et leur solubilité dans les solvants organiques (chloroforme, éther, alcool, etc.).

Mésophile : Se dit d’un microorganisme qui peut vivre à des températures variant de 20 à 45 °C et dont le développement est optimal à 37 °C.

Oncologie : Partie de la médecine qui s’intéresse à l’étude des tumeurs. Le terme oncologie est de plus en plus souvent utilisé pour désigner l’étude des cancers malgré l’existence du terme cancérologie.

Pascal : Unité de mesure de contrainte et de pression du système international (symbole Pa). 1 mégapascal (Mpa) est égal à 106 Pa.

Plaque lithosphérique : Couche superficielle de la planète formée de la croûte et du manteau supérieur et découpée en plaques mobiles, les plaques lithosphériques.

Pluricellulaire : Se dit d’un organisme composé d’un nombre de cellules plus ou moins élevées.

Polymère : Substance constituée de molécules caractérisées par la répétition d’un ou plusieurs types de motifs monomères.

On distingue les polymères naturels (caoutchouc, cellulose – bois, papier, fibres végétales-, collagène) et les polymères industriels : polyamide, polyéthylène, polypropylène… Les polymères sont utilisés dans la fabrication d’un nombre très important d’objets (exemples : couches pour bébés, CD, vêtements, moquette, jouets…).

Polysaccharide : Composé constitué par la polycondensation d’une grande quantité de molécules d’oses (amidon, cellulose etc.). Synonyme : polyoside ou polyholoside.

Protéase : Enzyme agissant sur les protides pour les décomposer en leurs différents constituants, principalement les acides aminés.

Protéines : Elles sont constituées de chaînes d’acides aminés. Elles permettent de construire les tissus, et dans le cas des enzymes, de contrôler des réactions chimiques. L’immunoglobuline est une protéine particulièrement importante qui protège l’organisme contre les bactéries et les virus.

Substrat : Molécule sur laquelle agit une enzyme.

Symbiose : Association de deux êtres vivants d’espèces différentes, qui est profitable à chacun d’eux.

Thermostablité : Etat d’une substance qui n’est pas altéré par une élévation de température.

Thixotropie : Propriété qu’ont certains fluides de passer d’un état visqueux à un état liquide lorsqu’on les agite et de retrouver leur état initial après un temps de repos.

Unicellulaire : Se dit d’un organisme composé d’une cellule unique.

Xylane : Polysaccharide. C’est un des constituants principaux des hémicelluloses obtenues à partir des bois.