Contrairement aux idées reçues, la pieuvre est presque inoffensive. Symbole de fécondité en Extrême-Orient ou de sagesse chez les grecs de l’Antiquité*, le poulpe devient dans la civilisation occidentale l’objet de nombreux récits effrayants.
Dans « Les travailleurs de la mer », Victor Hugo écrit : « La pieuvre est de toutes les bêtes la plus formidablement armée. Qu’est-ce donc que la pieuvre ? C’est la ventouse. […]. Cela se jette sur vous. L’hydre harponne l’homme. Cette bête s’applique sur sa proie, la recouvre, et la noue de ses longues bandes. En dessous elle est jaunâtre, en dessus elle est terreuse ; rien ne saurait rendre cette inexplicable nuance poussière ; on dirait une bête faite de cendre qui habite l’eau. Elle est arachnide par la forme et caméléon par la coloration. Irritée, elle devient violette. Chose épouvantable, c’est mou. Ses nœuds garrottent ; son contact paralyse. Elle a un aspect de scorbut et de gangrène ; c’est de la maladie arrangée en monstruosité. »
Suite à cette description terriblement efficace, la pieuvre aura du mal à se remettre de son image de tueuse auprès du grand public.
Le Kraken, pieuvre gigantesque des légendes scandinaves
La légende du Kraken est d’origine ancienne, des témoignages ont été recueillis bien avant le 18ème siècle. Mais c’est dans l’ouvrage d’un évêque danois, Erik Pontoppidan, datant de cette période, qu’on en trouve pour la première fois une description et une tentative d’explication. Personne n’avait la moindre idée de l’identité de ce monstre. Ce qu’on savait de lui reposait sur les récits des pêcheurs du Nord qui l’avaient rencontré. Ils rapportaient que son dos semblait faire deux kilomètres de circonférence au minimum. Des cornes luisantes sortaient de l’eau et augmentaient d’épaisseur au fur et à mesure qu’elles s’élevaient vers le ciel jusqu’à la hauteur d’un mât de bateau. Après être resté à la surface de l’eau un court instant, il redescendait avec lenteur. Réputé peu dangereux pour les marins, il créait cependant, lors de ses plongées, des tourbillons qui entraînaient les navires dans les profondeurs. Les pêcheurs avaient, par ailleurs, remarqué qu’il dégageait un parfum puissant et particulier capable d’attirer les autres poissons.
Malgré les pertes humaines recensées, le Kraken n’avait pas une réputation d’agresseur, dans les récits il n’est jamais question d’attaque directe envers l’homme.
Les crabes et les poulpes ont souvent été confondus. Le Kraken, mot issu de la langue norvégienne, était appelé Krake, Kraxe ou Krabbe de par sa ressemblance avec le crabe (une créature ronde, aplatie et pleine de bras), mais c’est bien d’un céphalopode* qu’il s’agissait. Erik Pontoppidan le classait parmi le genre polype (poulpe) ou étoile de mer, la classification zoologique n’étant pas encore très développée à cette époque.
« Vingt mille lieues sous les mers », le roman de Jules verne, contribuera également pendant des décennies à entretenir l’aspect effrayant de la pieuvre (il faut noter que dans ce texte, Jules Verne parle indistinctement de poulpe et de calmar).
« Le Nautilus était alors revenu à la surface des flots. Un des marins, placé sur les derniers échelons, dévissait les boulons du panneau. Mais les écrous étaient à peine dégagés, que le panneau se releva avec une violence extrême, évidemment tiré par la ventouse d’un bras de poulpe. […] Au moment où nous nous pressions les uns sur les autres pour atteindre la plate-forme, deux autres bras, cinglant l’air, s’abattirent sur le marin placé devant le capitaine Nemo et l’enlevèrent avec une violence irrésistible. […] L’infortuné était perdu. Qui pouvait l’arracher à cette puissante étreinte ? Cependant le capitaine Nemo s’était précipité sur le poulpe, et, d’un coup de hache, il lui avait encore abattu un bras. Son second luttait avec rage contre d’autres monstres qui rampaient sur les flancs du Nautilus. L’équipage se battait à coups de hache. Le Canadien, Conseil et moi, nous enfoncions nos armes dans ces masses charnues. Une violente odeur de musc pénétrait l’atmosphère. C’était horrible. Un instant, je crus que le malheureux, enlacé par le poulpe, serait arraché à sa puissante succion. Sept bras sur huit avaient été coupés. Un seul, brandissant la victime comme une plume, se tordait dans l’air. Mais au moment où le capitaine Nemo et son second se précipitaient sur lui, l’animal lança une colonne d’un liquide noirâtre, sécrété par une bourse située dans son abdomen. Nous en fûmes aveuglés. Quand ce nuage se fut dissipé, le calmar avait disparu, et avec lui mon infortuné compatriote ! »
L’auteur associe l’imaginaire et les connaissances scientifiques de l’époque. D’immenses zones inexplorées au fond des océans permettent d’envisager des aventures extraordinaires et terrifiantes.