Cherbourg voit grand
En 1922, Cherbourg passe le cap des 100 000 passagers transatlantiques annuels, doublant la fréquentation d’avant-guerre. Le 22 novembre 1922, le grand projet d’aménagement portuaire porté par les autorités locales est reconnu d’utilité publique.
L’étude sur l’organisation des ports transatlantiques menée par M. Chalos, ingénieur des Ponts et Chaussées, et M. Quoniam, président de la Chambre de Commerce de Cherbourg, préconise de doter le port d’une nouvelle Gare Maritime Transatlantique adaptée au large, au rail et à la route. Elle doit être en capacité d’accueillir simultanément 2 paquebots de 300 mètres de long accostés dans un nouveau port en eau profonde, évitant les manœuvres de transbordements longues et fastidieuses en rade.
M. Quoniam confie à l’architecte cherbourgeois René Levavasseur la réalisation du nouvel équipement dont l’objectif est de recevoir, dans les meilleures conditions de confort, plus de 175 000 passagers par an et 900 paquebots en escale. Tout doit y être conditionné pour la vitesse afin que passagers, bagages et sacs postaux transitent sans se ralentir les uns les autres.
Le projet de 1924
En mai 1924, M. René Levavasseur en collaboration avec M. Chalos, présente les plans de ces nouveaux équipements. Le 27 août, lors d’une séance à la Chambre de Commerce, les principes des plans de la Gare Maritime Transatlantique sont globalement adoptés. La description du projet d’Est en Ouest en est la suivante :
La structure d’accueil des transbordeurs est une souille creusée à la cote -5.00 et un quai, composé de 6 postes d’accostage. Ces postes sont constitués de ducs d’Albe conçus en béton armé et en bois. À chacun de ces postes est prévu un escalier dit de marée, c’est-à-dire que les marches s’adaptent à la hauteur du pont du transbordeur. Chaque escalier est relié directement à la Gare Maritime Transatlantique.
La Gare Maritime Transatlantique se divise en 3 parties principales. La première est le bâtiment principal composé de 2 niveaux. Le niveau bas est réservé aux services techniques (bagages, colis postaux, matériels, réserves techniques…) alors que l’étage accueille tous les services destinés aux passagers (salles d’attente ou de visite, bureaux des compagnies…). Tous les passagers ne sont pas habilités à se regrouper au premier étage. Les émigrants sont confinés dans des salles au rez-de-chaussée des ailes nord et sud du même bâtiment. Par la suite, ils sont invités à gagner, par des escaliers particuliers, le 1er étage lors du passage en douane. À l’inverse, les passagers de 1re classe et 2e classe peuvent se rendre au rez-de-chaussée où un restaurant est mis à leur disposition. Au 1er étage, 6 salons de repos avec vue sur la darse leur sont réservés.
Le journal local, Cherbourg-Eclair, annonce que le coût des travaux de la gare est estimé à 10 millions de francs. Ce même journal fait mention d’une inauguration pour l’année 1928.
Des opposants
Dès la publication des 1ers projets, des voix s’élèvent pour déclarer leur opposition, parmi elles, les compagnies de navigation et les capitaines des transbordeurs. Ces derniers ne souhaitent pas effectuer les opérations d’embarquement ou de débarquement dans une zone fortement exposée aux vents de nord-est. Ils préfèrent une amélioration de l’avant-port et la création d’une série d’appontements. M. Rose, Président du syndicat des agents maritimes, s’oppose au projet dans une lettre du 26 juillet 1924 adressée au Président de la Chambre de Commerce. Il y explique que cette gare ne peut profiter qu’aux trains et non aux agents maritimes.
Ces opposants sont très vite ralliés par la presse cherbourgeoise, mais 5 promoteurs du projet sont élus à la tête de la Chambre de Commerce, excluant ainsi la liste des opposants. Cependant, suite à une visite à Cherbourg en juillet 1925, le Président de la République s’oppose au projet. Une commission est aussitôt créée pour examiner les besoins réels d’une Gare Maritime Transatlantique à Cherbourg sous la tutelle de M. Babin.
Le 15 septembre 1925, Pierre Laval, Ministre des Travaux Publics, adresse une lettre au Préfet de la Manche lui demandant de réduire le coût de construction de la nouvelle Gare Maritime Transatlantique.
« Le bâtiment proposé comporte une décoration extérieure importante et est pour ainsi dire conçu dans toutes ses parties pour l’effet architectural. De telles dispositions sont à abandonner. Ce n’est pas au moment où se poursuivent les plus délicates négociations au sujet des dettes de guerre, qu’on peut songer à offrir à la vue des voyageurs américains ou anglais une gare monumentale et fastueuse. »
– Extrait de la lettre de Pierre Laval
L’exposition internationale des arts décoratifs et industriels modernes, organisée à Paris en 1925, offre à l’architecte Levavasseur une source d’inspiration qui répond aux exigences de sobriété du Ministre des Travaux Publics. Succédant à l’exubérance de l’Art nouveau, l’Art déco, au contraire, revient à la pureté des formes et se veut à la fois géométrique et décoratif.
Le 21 août 1926, M. André Tardieu, Ministre des Travaux Publics, donne son accord à l’édification de la nouvelle gare suite à l’enquête de la commission Babin. Cette nouvelle gare est composée de 4 parties principales :
- 9 passerelles mobiles glissant le long d’une galerie d’accostage longue de 500 mètres et permettant l’embarquement et le débarquement des passagers et de leurs bagages ;
- Un Hall des Transatlantiques de 280 mètres de long par 42 mètres de large qui comprend notamment les salles de visite des douanes – ou salles sous douane –, les salles d’attente – ou salles des Pas perdus –, les bureaux des compagnies et les différents services et boutiques à disposition des voyageurs ;
- Une Voie Charretière de 280 mètres de long par 15 mètres de large séparant le Hall des Transatlantiques du Hall des Trains ;
- Un Hall des Trains de 240 mètres de long par 40 mètres de large composé de 3 quais desservant 4 voies ferrées connectées directement à la ligne ferroviaire Paris / Cherbourg.
Plus tard et suite à la crise de 1929, des voix cherbourgeoises s’élèveront afin de réclamer une justification des travaux engagés, qui se poursuivent malgré la baisse du trafic transatlantique.