Henri-Germain Delauze, un pionnier des grandes profondeurs

I. b. Entre la Comex et le bathyscaphe "Archimède"

En 1959, suite à l’invitation de l’US State Department américain, Henri-Germain Delauze reprend ses études à l’Université de Californie (Berkeley près de San Francisco). Et il obtient en 1960, un ‘‘master of sciences‘‘ en Géologie Marine sous la direction du Professeur Einstein, le fils d’Albert Einstein. Il passe ensuite 3 mois à la Scripps Institution of Oceanography à la Jolla en Californie avec l’idée d’y préparer un doctorat sur deux ans. Idée qu’il abandonnera rapidement.

Durant son séjour aux Etats-Unis, Delauze intervient comme consultant durant 3 mois à la base US Navy (Marine américaine) de San Diego, et organise des essais en haute mer sur le projet de protection des sous-marins militaires contre les ondes de choc par un rideau de bulles d’air émis par le sous-marin.

Il effectue, par ailleurs, de très nombreuses plongées comme ’’consultant géologique’’ pour l’offshore pétrolier californien en baie de Monterey (repérage des anticlinaux* rocheux sur le fond de la baie dans la tranche de 50 / 100 mètres).

« Quand j’ai vu aux Etats-Unis un tas de gens de mon âge qui créait des sociétés, j’ai décidé que je pouvais en faire autant. A cette époque, je passais de nombreux week-ends en Californie à faire de la géologie pétrolière de reconnaissance des anticlinaux* sur le fond. Je descendais dans la tranche des 100 mètres en bouteilles, […] ! Je me suis rendu compte, en pratiquant le monde pétrolier, qu’à partir des années 60, le pétrole viendrait sous la mer. J’ai donc créé, en septembre 1961, la « Comex » : Compagnie Maritime d’Expertise. » 

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Fin 1960, la famille Delauze décide de retourner en France. Elle part ensuite en Algérie où Henri-Germain Delauze assurera la gestion du départ d’Algérie des Grands Travaux de Marseille (période très violente des prémices de l’indépendance).

dt_delauz_0022De retour en France, en septembre 1961, Henri-Germain Delauze crée la Compagnie Maritime d’Expertise « Comex » avec l’idée de rassembler une équipe de « plongeurs experts » et de développer sur plusieurs années la plongée profonde aux gaz ‘‘rares’’ (hélium).

Il est contacté, dans le même temps par le professeur Pierre Drach, Directeur du Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS) qui lui propose d’organiser un Laboratoire des Bathyscaphes basé à Marseille. En effet, le bathyscaphe « Archimède » (successeur du « FNRS III ») étant terminé, les partenaires Marine Nationale et CNRS souhaitent lancer une série de campagnes scientifiques profondes dans le monde. Malgré la création récente de Comex, Henri-Germain Delauze accepte le challenge qui est à la fois technique et international et il lance l’étude et la construction des équipements scientifiques de l’ »Archimède » (pont roulant de prélèvements en vision directe des hublots, carottiers, prises de vues, sismique profonde, etc.…).

La coopération est établie et basée sur une alliance avec l’Ingénieur Général Pierre Willm et le Commandant Georges Houot. La coordination scientifique est assurée par le Professeur Pérès, Directeur de la Station marine d’Endoume à Marseille et Président du Comité Scientifique du Bathyscaphe.

Un programme international sur cinq ans est alors décidé entre le CNRS et la Marine Nationale qui totalisera de 1962 à 1967, 52 plongées profondes dont 32 avec la participation d’Henri-Germain Delauze.

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« Le CNRS (Centre National de la Recherche Scientifique) m’a proposé de prendre le bathyscaphe « Archimède ». En effet, l’ »Archimède », c’était moi qui le faisais marcher. Le commandant Houot le pilotait bien sûr mais je m’occupais des aspects financiers, politiques et stratégiques : les plongées en Grèce, les accords avec la Russie pour aller aux îles Kouriles ou avec le gouvernement américain et Wilson pour aller à Porto Rico. Je drivais donc toute la partie relationnelle, technique et scientifique puisque j’étais coordinateur des plongées. »

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En collaboration avec le Commandant Houot et l’Ingénieur en Chef Pierre Willm, Henri-Germain Delauze organise la campagne du bathyscaphe « Archimède » dans les eaux des Kouriles, îles sibériennes russes au nord-est du Japon. Il négocie également une collaboration scientifique avec l’Université de Tokyo (Professeur Sazaki). Le 25 juillet 1962, Henri-Germain Delauze,  accompagné du Commandant O’Byrne et du Professeur Sazaki, réalise la plongée la plus profonde de l’ »Archimède » à 9 545 mètres en ‘’butant’’ sur le fond de la grande fosse des Kouriles (les sonars d’un bateau océanographique russe avaient initialement donné une profondeur bien supérieure !…).

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Partageant son temps entre les plongées de l’ »Archimède » et la Comex, Henri-Germain Delauze procède en 1963 à l’ingénierie du premier Centre Expérimental Hyperbare (CEH) de capacité 360 mètres dont sera dotée, jusqu’en 1969, la Comex pour le développement de la plongée profonde (Cf. A quoi sert le Centre Expérimental Hyperbare ?).

L’année suivante, il négocie des collaborations scientifiques de recherches abyssales basées sur l’emploi de l’ »Archimède » avec la ‘’Woods Hole Oceanographic Institution’’ (WHOI) et, avec l’appui de l’US Navy, organise la campagne de l’ »Archimède » à Porto Rico.

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Dix plongées seront réalisées dont une à 8 300 mètres dans la fosse la plus profonde de l’Atlantique, avec à ses côtés le Commandant Houot et le Professeur Drach.

Il est également invité par la Woods Hole Oceanographic Institution à une plongée dans leur tout nouveau sous-marin profond « Alvin » aux Bahamas.

En 1965, il procède au concept du premier système industriel opérationnel embarqué de plongée profonde avec tourelle* ‘‘ascenseur pressurisé’’. Toute l’astuce revient à mettre les plongeurs en saturation au sec et au chaud, à la pression de travail dans un ensemble de caissons* embarqué à bord d’un support de surface (bateau ou barge). Les ‘’allers et retours’’ des plongeurs saturés sur le lieu de travail au fond s’effectuent dans une tourelle* de plongée sous pression (Cf. Plonger en saturation : Mode d’emploi). Un concept aux antipodes de celui du Commandant Cousteau avec ses  » maisons sous la mer »  immobiles (« Précontinent ») et des Américains (« Sea lab »).

L’idée des « maisons sur la mer » s’imposera au plan mondial en quelques années comme le seul outil sécurisé de plongées profondes en saturation au service de l’offshore pétrolier et sera adopté par tous les concurrents de Comex.

« Ce qui a été merveilleux dans ce milieu pétrolier, c’est que nous avons trouvé un support financier parce qu’il y avait un besoin. Sans ce besoin industriel : qui aurait payé les milliards de francs lourds nécessaires au développement de la plongée profonde ? Un système de plongée profond aujourd’hui ça pèse entre 300 et 400 tonnes et ça vaut entre 50 et 100 millions […] On est donc à un niveau technique et financier élevé […] En même temps, en France, je l’ai compris après sans amertume, […] mais quand on n’est pas d’un grand corps d’Etat type polytechnicien, et en particulier dans le pétrole, et qu’on crée sa boîte, en plus en Province, on ne fait pas son trou comme ça. Il faut vraiment qu’on ait besoin de vous. » (« Le Président », Thalassa, France 3, juin 1996.)

La même année, Henri-Germain Delauze effectue une campagne à bord de l’ »Archimède » dans la fosse de Matapan (la plus profonde de Méditerranée) au sud de la Grèce avec quatorze plongées culminant à 5 080 mètres.

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En 1966, Henri-Germain Delauze dirige la première plongée à 150 mètres de profondeur dans les caissons* du premier Centre Expérimental Hyperbare.

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Il dirige également la première plongée en tourelle* en mer (Cf. Plonger en saturation : Mode d’emploi) qui va suivre à 160 mètres de profondeur avec sortie des plongeurs en pleine eau.

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On le retrouve ensuite à bord du bathyscaphe « Archimède » à l’ouest de l’île de Madère. Treize plongées y sont effectuées dans la tranche 2.000 à 4.500 mètres sous la direction du Professeur Jean-Marie Pérès. De nombreux scientifiques américains sont invités.

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En 1967, a lieu la deuxième campagne du Japon avec l’ »Archimède » sur la côte Ouest où neuf plongées seront réalisées entre 7 000 et 9 200 mètres avec base opérationnelle au port de Yokohama. Ce sera la dernière campagne d’Henri-Germain Delauze qui quitte le CNRS au retour du Japon pour se consacrer définitivement au développement de la Comex.

« En 1966, j’ai averti le CNRS que je souhaitais me consacrer exclusivement aux activités de la Comex, j’ai donc dirigé la dernière campagne profonde au Japon en 1966 et 1967. Puis j’ai repris la Direction de la Comex qui entre temps regroupait déjà 300 à 400 salariés dont une cinquantaine de plongeurs. On est alors rentré « à bloc » dans la plongée très profonde. Dès 1968, j’ai effectué la première plongée à 335 mètres : on étudiait à l’époque la désaturation. C’est là que nous avons décrit le Syndrome Nerveux des Hautes Pressions (SNHP), c’est-à-dire l’effet de l’hélium dans les hautes pressions. Il y a en effet un effet azote, narcotique mais il y a également un effet hélium. Nous avons démarré sur 20 ans, progressivement les saturations de plus en plus profondes à l’hélium puis à partir de 1984 à l’hydrogène. En effet, on plongeait jusqu’à 610 mètres avec l’hélium mais le plongeur était dans un état où il ne pouvait pas travailler. On a alors (re)découvert avec émerveillement l’hydrogène mais les premières questions se sont posées : est-ce qu’on survit en respirant ce gaz ? En effet, il n’y avait jamais eu de plongeur à l’hydrogène sauf un jeune officier norvégien en 1943 qui était mort car il était remonté trop vite. On s’est donc lancé « à bloc » dans cette aventure. »

Documents HG Delauze