À bord du Titanic, les passagers bénéficient d’une cuisine élégante et raffinée en 1re classe, savoureuse en 2e classe, abondante et qualitative en 3e classe.

Le grand cuisinier de l’époque, Auguste ESCOFFIER n’est pas présent lors de ce voyage inaugural mais il distille ses recettes, tout au long de cette traversée funeste : consommé Olga, punch à la Romaine…

Gastronomie en 1re classe : élégance et raffinement

L’esprit ESCOFFIER

Auguste Escoffier © Collection Musée Escoffier
Auguste Escoffier © Collection Musée Escoffier

Auguste ESCOFFIER (1846-1935) est un cuisinier français. Il a été surnommé le roi des cuisines, le cuisinier des rois.

Il est le grand réformateur de l’art culinaire contemporain, imposant dans le travail la méthode et la pondération.

Il est également novateur dans l’idée d’une évolution inéluctable de la cuisine.

Créateur de la brigade, il organise de manière rationnelle et hiérarchique les différents espaces de la cuisine, avec un chef à la tête de chacun de ces espaces, lequel a sous ses ordres un premier commis.

Auguste ESCOFFIER a également simplifié le menu moderne et la structure des repas, mettant en place un service « à la russe ».

Ce type de service divise le repas en plusieurs plats, chacun servi séparément dans son assiette. Il remplace l’ancien service « à la française », en vigueur jusqu’au 18e siècle, où les plats étaient proposés en même temps.

Sa rencontre avec l’hôtelier et entrepreneur suisse César RITZ en octobre 1884 va poser les bases puis le développement de l’hôtellerie de luxe à terre (le Savoy à Londres ; le Ritz à Paris ; le Carlton à Londres et New York…) mais également en mer.

Il est en effet contacté, en 1904, par la compagnie de navigation allemande Hamburg Amerika Lines qui souhaite aménager sur ses navires un service de restaurant à la carte pour ses passagers de marque, sous l’enseigne « Ritz Carlton Restaurant ».

Les premiers paquebots ainsi équipés sont l’Amerika, le Kaiserin Augusta Victoria puis l’Imperator. Auguste ESCOFFIER participe à chaque voyage inaugural, vérifiant le moindre détail des installations et du travail de la brigade.

« Étant chef et directeur des cuisines de la Compagnie, je fus chargé de l’installation de la cuisine et des offices, et du choix du personnel. »

Auguste ESCOFFIER, « Souvenirs inédits », éd. Jeanne Laffitte, 1985

L’occasion, également, pour lui de croiser le gotha international.

Ses préceptes novateurs sont appliqués par la White Star Line au sein du Titanic.

Et si Auguste ESCOFFIER n’était pas à bord lors du voyage inaugural, il a très certainement rencontré et peut-être formé le personnel, comme le gérant du restaurant À la carte, Luigi GATTI qui a fait ses classes au Ritz de Londres.

Eventail © Musée Escoffier
Menu du dîner du 19 février 1898 servi à bord du paquebot Armand Béhic © Musée de l’art culinaire Escoffier

Les recettes d’Auguste ESCOFFIER font bien évidemment partie des mets proposés aux passagers de 1re classe comme le consommé Olga ou le punch à la Romaine.

Les passagers de 2e classe peuvent quant à eux déguster le consommé Tapioca ou la purée de navets.

Les passagers de 3e classe bénéficient également du dressage et de l’accompagnement des plats à la façon ESCOFFIER.

Le rôti de bœuf proposé au dîner du 14 avril 1912 est en effet accompagné du jus de viande servi dans un plat à part.

« Un menu bien composé doit être évocateur… ce qui ajoute au désir de savourer un repas savamment préparé et présenté… Ces menus doivent être le reflet des circonstances, une sorte de poème rappelant des heures agréables ! »

Auguste ESCOFFIER, Souvenirs inédits, éd. Jeanne Laffitte, 1985

Dégustations dans la salle à manger

Pour le petit-déjeuner, les passagers peuvent déguster des fruits frais, des œufs, du jambon ou des saucisses grillés mais aussi du saumon fumé, un steak d’aloyau ou des côtelettes de mouton.

Menu du 12 avril appartenant à Elise LURETTE, domestique voyageant en 1re classe © Collection Claude ROULET
Menu du 12 avril appartenant à Elise LURETTE, domestique voyageant en 1re classe © Collection Claude ROULET

Le soir du 14 avril 1912, le dîner est décliné en 11 services comprenant chacun plusieurs plats au choix :

  • Hors-d’œuvre,
  • Consommé
  • Poisson,
  • Entrée,
  • Relevé,
  • Punch ou sorbet,
  • Rôts
  • Salade,
  • Viande froide,
  • Entremets
  • Dessert.

Ainsi, lors de ce dîner, les convives peuvent tout aussi bien déguster dans l’ordre suivant : des huîtres, un consommé Olga, du saumon poché et sa sauce mousseline, des filets mignon Lili, du gigot d’agneau et sa sauce menthe.

Un punch à la romaine composée de glace pilée, de sucre, de champagne rosé, de vin blanc, de rhum ainsi que de jus d’orange et de citron permet aux passagers de digérer ce début de repas plantureux avant de passer au 7e service.

Ils vont alors savourer du pigeonneau rôti sur lit de cresson, une salade froide d’asperges et sa vinaigrette et du pâté de foie gras.

Suivent les entremets : gâteau de l’hôtel Waldorf, éclairs au chocolat et à la vanille… Puis les desserts : assortiments de fruits frais et fromages.

Ces mets raffinés s’accompagnent de vins fins et de champagne. Ainsi, 1 500 bouteilles de vin ont été embarquées à bord du Titanic.

« Imaginez des fraises en avril, et au beau milieu de l’océan de surcroit. C’est proprement extravagant ! Vraiment, vous vous seriez cru au Ritz. »

Lady DUFF GORDON, passagère de 1re classe du Titanic

Délices au restaurant À la carte

Peu de choses sont connues sur les plats spécifiquement servis au restaurant À la carte.

Cependant, d’après le témoignage de Mme Mahala DOUGLAS, passagère de 1re classe, de nombreux mets délicats ont été proposés le soir du 14 avril 1912 :

« La dernière soirée, nous avons dîné au restaurant… La nourriture était superbe : caviar, homard, caille d’Egypte, œufs de pluvier, des raisins et des pêches fraîches. »

Mme Mahala DOUGLAS, passagère de 1re classe du Titanic

Le personnel du restaurant À la carte est composé de 69 membres, dont 15 français et de nombreux italiens. Les cuisines françaises et italiennes sont donc à l’honneur.

cuisine titanic © BEVERIDGE
Cuisiniers à bord de l’Olympic, navire de la White Star Line © BEVERIDGE, Collection « Titanic The Ship Magnificent »

Le restaurant est géré par Luigi GATTI qui a fait ses classes au Ritz de Londres. L’ensemble du personnel est sous ses ordres.

Ils ont tous été embauchés à Southampton grâce au chef français du restaurant À la carte, Pierre ROUSSEAU, qui s’est constitué une équipe d’hommes de confiance ayant travaillé dans de grands restaurants parisiens et londoniens.

Ainsi, Adrien CHABOISSON, cuisinier aux viandes rôties, et Pierre VILLVARLANGE, cuisinier aux sauces, ont travaillé à l’Hôtel Savoy de Londres.

Parmi les autres membres du restaurant À la carte : le cuisinier aux sauces George Baptiste BIETRIX, le serveur Maurice DEBREUCQ ou l’aide-cellier Jean-Baptiste PACHÉRA.

Dans le hall d’entrée du restaurant À la carte, 3 musiciens, le violoniste Georges KRINS et les violoncellistes Roger BRICOUX et Percy TAYLOR sont chargés d’animer les journées et les soirées des passagers.

Une cuisine commune pour les 1re et 2e classes

Les plats des 1re et 2e classes sont préparés dans la même cuisine. Celle-ci est divisée en sections, chacune étant spécialisée dans la préparation d’un plat spécifique.

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Quelques membres du personnel des cuisines du Titanic © La Cité de la Mer / The Daily Graphic, 20 avril 1912

Il y a donc des cuisiniers en charge des entrées, des soupes, des volailles, des poissons, des rôtis, des sauces, de la pâtisserie… et tout cela dans des quantités prodigieuses !

62 personnes sont affectées aux cuisines de 1re, 2e et 3e classe. Un cuisinier s’occupe spécifiquement de la préparation de la nourriture Kasher pour les passagers de confession juive.

Située sur le pont D, entre les salles à manger de 1re et 2e classe, la cuisine jouxte la boucherie, la boulangerie, les arrière-cuisines… et s’étend sur toute la largeur du navire (environ 30 m) et sur une longueur d’environ 50 m.

À voir : le film promotionnel de la White Star Line tourné dans les années 1920 à bord de l’Olympic, « sister-ship » du Titanic. Vous y verrez, entre autres, les cuisine et le dressage des plats !

Fournis par la société Henry Wilson de Liverpool, ses équipements sont des plus modernes : 2 fourneaux équipés de 19 fours chacun, grills, rôtissoires, bains-marie, machines à éplucher les pommes de terre ou à piler la glace…

La cuisine est directement connectée aux offices : les assiettes y sont dressées et gardées au chaud en attendant d’être servies.

Les offices disposent également d’équipements dernier cri : des armoires chauffantes, des machines à café, des bouilloires automatiques pour les œufs, des stérilisateurs à lait et des chauffe-plats électriques…

L’agencement des offices permet à une centaine de serveurs d’y circuler en même temps.

Une cuisine spécifique au restaurant À la carte

Bien qu’elle ne soit pas aussi grande et sophistiquée que la cuisine de 1re et 2e classe, le restaurant À la carte dispose de sa propre cuisine aménagée selon les normes les plus modernes élaborées par Auguste ESCOFFIER, « le roi des cuisines, le cuisinier des rois ».

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Extrait du catalogue de matériel culinaire Dehillerin, Paris © Dehillerin

La cuisine dispose d’une grande cuisinière et de rôtisseuses.

En 1912, déguster des viandes rôties en mer est un véritable luxe. Cela a été rendu possible grâce à l’invention de l’entreprise de Liverpool, Henry Wilson & Co qui a breveté une rôtisserie à charbon.

Ainsi, le cuisinier aux viandes rôties du restaurant À la carte, Adrien CHABOISSON dispose ainsi d’ustensiles innovants comme un grill de 1m80 lui permettant de cuire la viande en grosse quantité et de la maintenir au chaud dans un compartiment prévu à cet effet.

On trouve également dans la cuisine du restaurant À la carte, le bureau de Luigi GATTI et deux pièces réservées au chef Pierre ROUSSEAU (dont son bureau) ainsi que :

  • un garde-manger ;
  • un local pour la viande ;
  • un local à poissons ;
  • une pièce pour les pâtisseries ;
  • une cave à vin contenant des étagères et 3 casiers à vins ;
  • un local à fruits et à fleurs

Pour l’ensemble des cuisines du Titanic dont celle du restaurant À la carte, de nombreuses vivres ont été embarquées. En ce qui concerne les viandes, on compte notamment 33 975 kg de viande fraîche, 3 397 kg de bacon et jambon, 11 325 kg de volailles et gibiers, 1 132 kg de saucisses et 1 tonne d’abats.

Le 14 avril, M. et Mme WIDENER, propriétaires d’une compagnie de tramways à Philadelphie, organisent un dîner au restaurant À la carte en l’honneur du Commandant SMITH. Celui-ci se retire vers 20h30 pour rejoindre la passerelle.

Gastronomie en 2e classe : opulence et saveurs

Les passagers de 2e classe bénéficient d’un large choix de plats. Les mets sont moins sophistiqués qu’en 1re classe mais leur qualité est la même, d’autant qu’ils sont préparés dans la même cuisine :

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Menu du dîner du 14 avril 1912 pour les passagers de 2e classe © Collection Association Française du Titanic

Pour le déjeuner :

  • soupe aux pois,
  • spaghetti au gratin,
  • corned-beef,
  • boulettes de légumes,
  • gigot de mouton rôti,
  • pommes de terre,
  • viandes froides et garnitures.

Pour le dîner :

  • aiglefin au four,
  • poulet au curry et riz,
  • agneau et dinde rôtis,
  • légumes et pommes de terre.

« C’est de la grande cuisine, comme on pouvait s’y attendre sur un paquebot de luxe. Il y avait, entre autres, du poulet Maryland, du saumon, de la langue de bœuf et un grand choix de fromages. […] »

Eva HART, 7 ans, qui a embarqué avec ses parents à Southampton

La cuisine est révélatrice du monde dans lequel les passagers du Titanic évoluent : extension de l’empire colonial anglais, migration de populations, échanges commerciaux…

Alors qu’en 1877, la reine Victoria est proclamée impératrice des Indes, de nouveaux ingrédients provenant de ces colonies apparaissent dans les assiettes anglaises comme le curry, un mélange d’épices utilisé, par exemple, dans le curry de poulet proposé au dîner du 14 avril 1912.

Dans ce même menu, les passagers peuvent également déguster une dinde rôtie, sauce aux canneberges : un plat traditionnel américain servi à l’occasion de Thanksgiving, une fête célébrée chaque 4e jeudi de novembre.

Par ailleurs, certains plats proposés en 2e classe, comme l’agneau sauce à la menthe, figurent également dans les menus de 1re classe.

Pour le dessert, les cuisiniers ont concocté un pudding aux prunes ou plum-pudding.

Au 15e siècle, en Angleterre, le plum-pudding était une sorte de ragoût à base de veau, mouton ou volaille agrémenté de pains d’airelles et de prunes.

Au fur et à mesure, la viande a disparu au profit d’ingrédients sucrés.

Il existe de nombreuses recettes de plum-pudding. Ainsi, le grand cuisinier français de l’époque Auguste ESCOFFIER propose un gâteau constitué de mie de pain fraîche, de farine, de sucre, de fruits secs et confits, de raisins de Smyrne et de Corinthe. Le plum-pudding est ensuite flambé au cognac ou nappé de sauce brandy.

« Le dernier repas pris avec mon père et ma mère réunis a été, comme le déjeuner, exceptionnel dans sa diversité… Parmi les 5 plats principaux, il y avait du poulet au curry, de l’agneau ou de la dinde rôtie… »

Eva HART, 7 ans, qui a embarqué avec ses parents à Southampton

Gastronomie en 3e classe : abondance et qualité

Le Titanic fait partie des premiers paquebots à offrir, aux passagers de 3e classe, un confort inégalé, notamment au niveau de la restauration : ils n’ont ainsi plus besoin d’apporter leurs repas et leur vaisselle.

À la différence de la 1re et de la 2e classe, les menus de 3e classe indiquent l’ensemble des plats pour tous les repas de la journée.

boulangers titanic © BEVERIDGE
Des boulangers à bord de l’Olympic, sister-ship du Titanic © BEVERIDGE, Collection « Titanic The Ship Magnificent »

Le service et l’attention portée aux voyageurs de 3e classe sont jugés excellents à bord du Titanic. La nourriture y est abondante et de bonne qualité. Les conserves et les fruits frais (pommes et oranges) servis au petit-déjeuner et au dîner sont tous de grande qualité.

Pas étonnant alors que le prix d’un billet de 3e classe sur le Titanic soit égal, voire supérieur, au prix d’un billet de 2e classe sur un navire concurrent.

Quatre repas sont servis aux passagers de 3e classe :

  • Petit-déjeuner (2 services : 8h ou 9h) :
    Il reprend le modèle classique du petit-déjeuner à l’anglaise c’est-à-dire porridge d’avoine et lait, thé, café, sucre, pain frais et beurre, hareng, pommes de terre, lingue (poisson proche de la morue) et sauce aux œufs ou ragoût irlandais en fonction du jour de la semaine.
  • Déjeuner (2 services : 12h ou 13h) :
    Soupe, bœuf, mouton, carottes et navets, pois verts, porc ou lingue et sauce servis avec du pain et des pommes de terre, plum-pudding (gâteau aux prunes ou aux pruneaux), riz au lait, compote de pommes ou de pruneaux selon le jour de la semaine.
  • Dîner (2 services : 17h ou 18h) :
    Thé, sucre, lait, pain frais et beurre, confiture ou fromage et pickles (légumes conservés dans du vinaigre et fortement épicés), hachis de bœuf ou bœuf en boîte en fonction du jour de la semaine.

Du gruau d’avoine est servi à 20 heures.

Des bouillons de poulet et de bœuf sont proposés aux femmes et aux enfants à 11h.

Les femmes et les enfants peuvent également demander du thé, du café ou du lait à tout moment de la journée.

La cuisine de 3e classe se trouve à tribord, toute proche de l’immense salle à manger des passagers de 3e classe.

De petite taille, elle est destinée à préparer des plats simples et en grande quantité ce qui la distingue de la cuisine 1re et 2e classe qui propose une cuisine très élaborée.

Une pièce pour nettoyer les pommes de terre, une boulangerie, une pièce dédiée au stockage du pain et un garde-manger sont attenants à la cuisine. Un 2e garde-manger est localisé à bâbord.

Le cuisinier aux sauces dispose d’une presse à canard, utilisée notamment pour extraire le jus des carcasses pour la préparation des sauces.

La boulangerie est équipée d’appareils très modernes comme les machines rotatives pour pétrir la pâte et les fours Werner-Wilson munis de tubes à eau afin de cuire un croustillant pain viennois.

« Jiris était fasciné par les tapis moelleux et le grand escalier, mais plus que tout, il était fasciné par la nourriture. »

Georges YOUSSEF TOUMA, 8 ans, qui a embarqué avec sa mère et sa sœur à Cherbourg