Les campagnes océanographiques modernes
En 1872, a lieu la première campagne océanographique moderne autour du monde. Le premier navire à but scientifique, la corvette HMS (Her Majesty’s ship) Challenger part d’Angleterre pour quatre ans de mission et rapporte des milliers d’échantillons et d’observations. Cette campagne lança le début des grandes expéditions scientifiques dans le monde entier et à son retour en 1876, le terme « océanographie » commence à être réellement employé.
En savoir plus sur la campagne du HMS Challenger
Ainsi, jusqu’en 1914, de nombreuses expéditions allemandes, américaines et monégasques ont lieu.
De 1885 à 1915, le prince Albert Ier de Monaco (1848-1922), lui-même navigateur et océanographe, met à disposition des scientifiques successivement ses yachts l’Hirondelle, l’Hirondelle II, la Princesse Alice et la Princesse Alice II.
28 campagnes de recherche océanographique sont menées en Méditerranée et dans l’Atlantique nord.
Les yachts sont spécialement conçus pour des travaux océanographiques : ils sont équipés de laboratoires avec tables à roulis, tables éclairantes, réservoirs d’alcool spéciaux et ils disposent d’une distribution d’eau distillée et d’eau de mer.
Les scientifiques, grâce à ce matériel moderne, peuvent alors recueillir des animaux qui échappaient aux engins de récolte habituels.
Les résultats des recherches sont publiés dans 110 volumes intitulés Résultats des campagnes scientifiques accomplies sur son yacht par Albert Ier, Prince Souverain de Monaco : ils concernent l’étude des courants superficiels et l’exploration zoologique des fonds, jusqu’à moins 6 035 mètres.
Il est aussi le fondateur du Musée océanographique de Monaco ouvert en 1910 et de l’Institut océanographique de Paris inauguré en 1911.
Organismes internationaux de coordination
C’est à cette même époque que sont créés les organismes internationaux de coordination :
– 1889, début des réunions qui ont conduit à la création à Copenhague le 22 juillet 1902 d’un Conseil International pour l’Exploration de la Mer (CIEM) ; la France y adhère en 1918. Ce conseil coordonne et assure la promotion de la recherche marine dans l’Atlantique Nord. Il compte aujourd’hui 20 membres : Allemagne, Belgique, Canada, Danemark, Espagne, Estonie, Etats-Unis, Finlande, France, Irlande, Islande, Lettonie, Lituanie, Norvège, Pays-Bas, Pologne, Portugal, Royaume-Uni, Russie, Suisse.
Pour en savoir plus : http://www.ices.dk/indexfla.asp
– 1912, création de la CIESM (Commission internationale pour l’exploitation scientifique de la Méditerranée) qui soutient la recherche en Méditerranée et en mer Noire dans de multiples disciplines marines et environnementales. Elle compte aujourd’hui 23 pays membres. Cette commission fut créée suite au 9e congrès de géographie (1908, Genève) où l’idée de l’exploration océanographique de la Méditerranée, dans l’intérêt de la pêche marine, avait été avancée. Un comité spécial avait alors été composé par le Prince Albert Ier de Monaco (le Président) et par plusieurs professeurs : Cori (Trieste), Vinciguerra (Rome), Regnard (Paris), Navarete (Madrid).
Pour en savoir plus : http://www.ciesm.org/index.htm
Programmes de recherche systématiques
Entre 1918 et 1957, sont mis en place des programmes de recherche systématiques nationaux : exploration de l’Atlantique Sud de 1925 à 1927 par le navire allemand Meteor (c’est le premier à réaliser l’étude hydrographique* d’un océan entier et à être équipé d’un sondeur* ultrasonore) ; étude de l’océan Austral au début des années 1930 par le navire britannique Discovery.
L’année Géophysique Internationale (AGI) de 1957 sera le point de départ des programmes internationaux de recherche à l’échelle du globe. Entre juillet et décembre 1958, période d’activité solaire maximum, de nombreuses études des phénomènes géophysiques* eurent lieu afin de mieux connaître les propriétés physiques de la Terre et ses interactions avec le soleil, en divers points du globe, notamment dans les régions polaires, peu étudiées jusqu’alors.
Développement des instituts océanographiques dans le monde
- Allemagne
En 1980, est créé l’Institut Alfred Wegener, principal centre de recherche de l’Allemagne en matière polaire, maritime et climatologique, dont le siège est à Bremerhaven. Les recherches menées par l’Institut concernent aussi bien la tectonique des plaques que la structure des chaînes alimentaires tout en passant par les causes et conséquences des changements climatiques.
Pour en savoir plus : http://www.awi.de/en/
- Canada
Créé en 1962 par le gouvernement du Canada et situé sur les rives du bassin de Bedford, à Dartmouth, en Nouvelle-Écosse, l’Institut océanographique de Bedford (IOB) est le plus grand centre de recherches océaniques du Canada et le premier grand centre fédéral à vocation océanographique. L’Institut effectue des recherches orientées pour le compte du gouvernement du Canada, dans le but de guider et d’étayer le processus décisionnel gouvernemental dans un vaste éventail de domaines touchant à l’océan et concernant, notamment, la souveraineté, la défense, la protection de l’environnement, la santé et la sécurité, les ressources halieutiques et les ressources naturelles ainsi que la planification et la gestion de l’environnement et des océans.
Pour en savoir plus : http://www.bio.gc.ca/index-fra.php
- Etats-Unis
En 1970, trois agences du gouvernement américain fusionnent (United States Coast and Geodetic Survey, 1807 ; le Weather Bureau, 1870 ; le Bureau of Commercial Fisheries, 1871) pour fonder la NOAA (National Oceanographic and Atmospheric Administration), agence américaine responsable de l’étude de l’océan et de l’atmosphère. Sa mission est de comprendre et prévoir les changements de l’environnement, d’administrer les ressources marines et côtières afin de concilier les besoins économiques, sociaux et environnementaux des États-Unis dans ces domaines.
Pour en savoir plus : http://www.noaa.gov/
- France
Entre les 2 guerres, l’océanographie des pêches acquiert de l’importance avec la création, en 1920 de l’Office Scientifique et Technique de Pêches Maritimes (OSTPM). Objectif : recueillir sur les lieux de pêche des informations à transmettre aux pêcheurs, réaliser des études sur la biologie des espèces marines commercialisées et le milieu marin. Au début des années 1930, l’OSTPM met en service le chalutier océanographique Président Théodore Tissier qui va effectuer de nombreuses campagnes océanographiques, dans l’Atlantique nord en particulier. En 1953, l’OSTPM devient l’ISTPM (Institut Scientifique et Technique de Pêches Maritimes). Il doit alors répondre aux besoins de reconstruction des outils de production et de transformation détruit par la guerre, à la nécessité d’introduction de nouvelles technologies et de création à terre de laboratoires bien équipés et en mer de navires modernes, à la mise en oeuvre de programmes de recherche de haut niveau, à la compétition internationale.
Dans les années 1950, le CNRS (Centre National de la Recherche Scientifique) fonde un laboratoire rattaché à la station marine de Roscoff.
En 1967, le CNEXO (Centre national pour l’exploitation des océans) naît officiellement. C’est un établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC) qui a pour mission « de développer la connaissance des océans, les études et les recherches tendant à l’exploitation des ressources contenues à leur surface, dans leur masse, leur sol et leur sous-sol ».
En 1985, est créé l’INSU (Institut national des sciences de l’Univers) qui va reconnaître le Centre d’Océanologie de Marseille, l’Observatoire Océanologique de Banyuls, l’Observatoire Océanologique de Villefranche-sur-Mer et la Station biologique de Roscoff comme des Observatoires des Sciences de l’Univers (OSU). Les OSU ont pour mission, entre autre l’acquisition de données d’observation ; la mise en place des programmes en vue de l’exploitation et la protection du milieu océanique ; la formation des étudiants et des personnels de recherche.
En 1984, le CNEXO et l’Institut scientifique et technique des pêches maritimes (ISTPM) fusionnent pour former l’Ifremer (Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer).
Pour en savoir plus : http://www.ifremer.fr
Dans le domaine militaire, le Service hydrographique de la Marine fait progresser la cartographie et l’hydrographie marines. En 1971, il devient le Service hydrographique et océanographique de la Marine (SHOM).
Pour en savoir plus : http://www.shom.fr/
- Grande-Bretagne :
Inauguré en 1995, le NOCS (National Oceanography Centre, Southampton, Grande-Bretagne) est reconnu comme un important Centre de Recherche et d’Enseignement en Sciences de la Mer, en Sciences de la Terre, et en Technologies Marines. Fruit d’un partenariat entre l’Université de Southampton et le Natural Environment Research Council (NERC), le NOCS compte aujourd’hui plus de 1200 personnes dans ses murs (500 chercheurs, enseignants et techniciens, 750 étudiants). Sa mission : comprendre le fonctionnement de l’ensemble des systèmes – physique, biologique, géologique et chimique – de la planète Terre et de ses océans.
Pour en savoir plus : http://www.soc.soton.ac.uk/index.php
- Japon
En mai 1971, le gouvernement japonais adopte la loi créant le JAMSTEC (Japan Agency for Marine-Earth Science and Technology). Inauguré en octobre 1971, ses activités se sont rapidement orientées vers le développement et l’utilisation de nouvelles technologies. Aujourd’hui, il est constitué de quatre départements dans les domaines suivants : recherche océanique profonde ; technologies marines ; observation de l’océan et recherche sur les écosystèmes marins. La JAMSTEC est doté entre autres du navire de forage Chikyu.
Pour en savoir plus : http://www.jamstec.go.jp/
Quelques dates importantes pour l’océanographie du 20e siècle
1934 : Les Américains William Beebe et Otis Barton atteignent la profondeur de 923 mètres à bord de leur bathysphère.
1947 : Le navire suédois Albatross découvre une fosse de 7 800 mètres au large de Porto Rico et y pêche quelques spécimens, dépassant ainsi le record du Prince Albert Ier de Monaco.
1948 : Henry Stommel explique pourquoi la vitesse du Gulf Stream* peut atteindre jusqu’à 4 km/h tandis que les grands courants océaniques circulent en moyenne à 1 km/h. L’accélération du Gulf Stream, générée par la force de Coriolis* (due à la rotation de la Terre) est plus forte aux pôles qu’à l’équateur. Plus la latitude augmente, plus le courant est rapide ; il ralentit ensuite à cause des forces de frottement, croissantes au fur et à mesure que le courant augmente.
1952 : Le navire danois Galathea démontre qu’il n’y a pas de limite de profondeur à la vie sous-marine. En réalisant une expérience dans la fosse des Tonga-Kermadec, dans le Pacifique central, des êtres vivants prélevés à plus de 10 000 mètres de profondeur sont remontés à bord : mollusques, crustacés…
1953 : Premiers essais du bathyscaphe FNRS III au large de Toulon. Les profondeurs de 750 mètres, 1 650 mètres et 2 100 mètres sont atteintes, battant très largement le record établi en 1949 à 1 370 mètres par l’américain Otis Barton avec sa bathysphère.
1954 : Au large de Dakar, le bathyscaphe FNRS III atteint l’immersion de 4 050 mètres avec à son bord les deux français, Georges Houot et Pierre Willm.
1960 : Les hommes « les plus profonds du monde » sont l’américain Don Walsh et le Suisse Jacques Picard. Ils ont atteint avec le bathyscaphe américain Trieste le fond de la fosse des Mariannes au large des Philippines à 10 916 mètres.
1965 : Les géologues américains Bruce Heezen et Marie Tharp représentent en relief le fond des océans d’après les sondages acoustiques réalisés durant les quinze années précédentes. Sont alors représentées les dorsales océaniques qui s’étendent sur des milliers de kilomètres.
1969 : Premiers essais de la soucoupe française Cyana, capable de descendre, avec 3 personnes à son bord, à 3 000 mètres de profondeur.
1970 : Le professeur Henri Lacombe mesure en Méditerranée la vitesse du mouvement vertical du phénomène de formation des eaux profondes : entre 5 et 8 centimètres par seconde. Plus l’évaporation est importante, plus l’eau est salée et plus elle est dense. L’eau s’alourdit quand sa température baisse et quand l’eau de surface devient trop lourde, elle coule. Toute la circulation océanique* est régie par ce principe de formation d’eaux profondes (salées et froides) et par le processus inverse de résurgence d’eau de surface.
Grâce aux études qui ont suivi sur la circulation océanique, on sait que les eaux plongent dans le nord de l’Atlantique Nord, qu’elles circulent au fond des mers et qu’elles réapparaissent 600 ans plus tard dans l’océan indien et 1 200 ans plus tard dans le Pacifique nord !
1974 : Le sous-marin habité américain Alvin participe à la campagne franco-américaine FAMOUS le long de la ride médio-atlantique au sud des Açores en compagnie des engins sous-marins français : la soucoupe Cyana et le bathyscaphe Archimède. Les trois engins totaliseront 51 plongées avec 228 heures passées au fond d’où ils ramèneront 2 tonnes d’échantillons de roches, 25 000 photos et 100 heures de film. Les observations réalisées durant ces plongées viendront confirmer la théorie de la dérive des continents.
1977 : Des géologues américains découvrent en plongeant à bord de l’Alvin des organismes vivant à proximité des sources hydrothermales, par 2 500 mètres de fond, dans des conditions de température et de pression extrême.
1978 : Le premier satellite entièrement dédié à l’océan, Seasat, est lancé le 28 juin pour renseigner les scientifiques sur la surface de la mer, sa température, ses mouvements. La même année (en octobre), son système électrique est endommagé et sa mission prend fin.
1984 : Le sous-marin Nautile est mis en service par le CNEXO. Il peut embarquer trois personnes (pilote, co-pilote et observateur) dans une sphère munie de hublots jusqu’à des profondeurs de 6 000 mètres.
1993 : Le Woods Hole Oceanographic Institution (WHOI) met en service le robot sous-marin autonome AUV ABE capable d’intervenir jusqu’à 5.000 mètres.
1995 : Le robot téléopéré japonais Kaiko bat le record de profondeur avec 10 911 mètres atteint dans la fosse des Mariannes.
1998 : Mise en service par l’IFREMER du robot téléopéré Victor 6000 capable de descendre à 6 000 mètres de profondeur.
2004 : Mise en service du robot autonome sous-marin AUV français AsterX capable de plonger à 3000 mètres de profondeur
2006 : Premiers essais de SeaOrbiter, vaisseau scientifique d’observation imaginé par Jacques Rougerie, né de la confrontation des expériences de Jacques Piccard, Jean-Loup Chrétien, et développé et testé grâce à COMEX et à l’institut norvégien Marintek. SeaOrbiter devrait dériver au gré des courants avec à son bord 18 océanautes dès 2009.
En résumé, l’évolution de l’océanographie suit le schéma suivant :
– Exploration et description
– Compréhension théorique des phénomènes
– Modélisation*, exploration et prévention
La première phase n’est pas encore terminée !