Bactéries des Abysses

II. c. Les cultures de bactéries*

Une fois les microorganismes prélevés, il est nécessaire de les multiplier. La mise en culture permet en effet de ne pas se contenter uniquement de l’analyse des rares échantillons récoltés. L’étude des bactéries* requiert d’innombrables expérimentations qui nécessitent elles-mêmes d’avoir une quantité importante d’échantillons.

dt_bacter_0038

Pour résister aux fortes températures exigées lors de la purification et de l’isolement des souches archaebactériennes thermophiles, les milieux solides (boîtes de Petri) doivent être en verre et contenir un agent gélifiant thermostable : Gelrite (résistant jusqu’à 100°C).

L’analyse des hyperthermophiles issus des sources hydrothermales a montré que ces microorganismes ne diffèrent pas beaucoup de ceux isolées en milieu côtier.

Ce sont particulièrement des espèces hétérotrophes* qui fermentent les composés organiques et réduisent le soufre élémentaire. Souvent anaérobies* stricts, elles n’acceptent qu’un milieu de culture réduit et une phase gazeuse totalement dépourvue d’oxygène.

La première étape dans l’étude des bactéries* abyssales, consiste à cataloguer les centaines d’espèces recueillies (on parle de numérotation). Le but étant d’obtenir des souches pures. Ces isolats sont ensuite soumis à une batterie de tests qui permettront d’identifier leurs comportements vis-à-vis de la chaleur, des polluants ou encore des hydrocarbures.


En savoir + : Exemple des souches Pyrococcus abyssi, prélevées dans le bassin Nord-fidjien et Thermococcus hydrothermalis récoltées sur la ride Est-Pacifique

Ces souches sont toutes deux des hyperthermophiles prélevées sur la paroi des cheminées hydrothermales. Ces espèces sont anaérobies* et hétérotrophes*, c’est-à-dire qu’elles utilisent la matière organique comme nourriture et le soufre comme source d’énergie.

Dans ces conditions, quelques problèmes se posent lors de leur mise en culture :

  • La présence du soufre. Celui-ci est ajouté dans le milieu de culture des archéobactéries hétérotrophes* afin de fixer le dihydrogène qui pourrait les intoxiquer, mais il se forme alors du sulfure d’hydrogène H2S qui lui aussi est toxique, irritant et malodorant.
  • Le travail à haute température.
  • La culture en absence d’oxygène.

Le matériel utilisé doit évidemment être adapté puisque ces conditions d’expérimentations sont particulièrement corrosives. Le matériel de laboratoire courant n’y résisterait pas (problèmes de corrosion). On emploie donc des récipients en aciers spéciaux,  du type de ceux utilisés pour le matériel d’exploration dans l’espace, riches en tungstène.

La majorité des cultures sont réalisées dans des fermenteurs qui permettent de contrôler certains paramètres comme le pH, l’agitation ou encore le débit de l’azote (dégazage du milieu).

dt_bacter_0040

Au laboratoire de l’Ifremer de Brest par exemple, les cultures se pratiquent dans des fermenteurs « gaz lift ». Il s’agit d’un appareil en colonne, traversé en continu par un fort débit d’azote, ce qui permet d’éliminer au fur et à mesure, les produits indésirables (gaz nauséabonds ou toxiques pour les bactéries*). Cette technique permet aussi de cultiver ces microorganismes en l’absence de soufre. Ces fermenteurs de 2 ou 5 litres réalisent des cultures en continu.

Bien que se développant parfaitement à la pression atmosphérique, certains hyperthermophiles présentent un comportement intéressant lorsqu’ils sont soumis à la pression hydrostatique qui règne dans leur biotope d’origine.

Pour étudier leur comportement sous pression hydrostatique, on reproduit à l’intérieur de réacteurs les conditions de pression des grandes profondeurs : les réacteurs sont des cylindres en acier capables de résister sans se déformer à des pressions pouvant atteindre 100 Mpa*. Ils peuvent être selon les besoins chauffés ou refroidis. Dans les deux cas, température et pression sont contrôlées par un système électronique.


Mais les cultures de microorganismes thermophiles destinées à la production d’enzymes* thermostables présentent, malgré tout, quelques inconvénients :

  • Les biomasses*  obtenues en fin de culture sont souvent faibles
  • L’utilisation des substrats* est souvent incomplète
  • Certaines souches présentent parfois une instabilité génétique

dt_bacter_0042Ce qui explique que le clonage soit généralement envisagé. Un clonage qui se réalise à l’aide d’hôtes mésophiles* (Escherichia coli ou Bacillus subtilis). En effet, la thermostablité* d’une enzyme* est le plus souvent codée génétiquement. Les protéines* ainsi produites dans des hôtes mésophiles conservent leur caractéristique thermophile. Le produit thermostable peut donc être facilement purifié, et les activités contaminantes de l’hôte thermosensible supprimées par simple dénaturation par la chaleur (chauffage).

De plus, pour que les enzymes* thermostables soient exploitées à grande échelle, les moyens mis en oeuvre pour leur production doivent être économiques et efficaces. Or, la culture des hyperthermophiles nécessite un appareillage spécifique et au vu du faible rendement, cela imputerait des coûts importants. Il semble donc plus économique de faire exprimer le gène* codant pour l’enzyme* par un hôte plus commun comme Escherichia coli. Produire moins cher des enzymes* purifiées pour l’industrie est donc possible.