Bactéries des Abysses

I. b. Fumeur noir : une source de vie pour tout un environnement

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Le fluide hydrothermal qui jaillit des fumeurs noirs est acide, dépourvu d’oxygène et très riche en sulfures de différents métaux. Au contact de l’eau de mer, les sulfures métalliques précipitent et forment des cheminées pouvant atteindre plusieurs mètres de hauteur. C’est d’ailleurs ce phénomène qui a donné naissance au terme « fumeurs noirs » pour désigner les sources hydrothermales abyssales.

Les fluides hydrothermaux se caractérisent par une absence d’oxygène et de fortes teneurs en gaz dissous (hydrogène sulfuré, méthane, monoxyde de carbone, dioxyde de carbone, hydrogène), en métaux (manganèse, fer, zinc, cuivre et même argent et or) et par d’importants gradients thermiques. Entre le centre du jet chaud et l’eau de mer environnante, la température peut ainsi varier de 2°C à plus de 400°C en quelques dizaines de centimètres.

Ces fumeurs noirs permettent le développement de toute une faune à proximité de ceux-ci. L’hydrogène sulfuré contenu dans le fluide hydrothermal  fournit l’énergie à la vie des bactéries* qui vivent en symbiose* à l’intérieur des cellules de divers invertébrés (vers, bivalves…).


En savoir + : bactéries* et invertébrés, une relation symbiotique

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Certaines bactéries* que l’on appelle chimiosynthétiques sulfo-oxydantes* vivent en symbiose* à l’intérieur des cellules de divers invertébrés. Prenons l’exemple d’un vestimentifère : grâce à ses pigments sanguins, ce ver est capable de capter l’hydrogène sulfuré et l’oxygène de l’eau de mer contenu dans le fluide hydrothermal. Le gaz carbonique indispensable aux synthèses organiques est lui aussi transporté par le sang, et ceci jusqu’aux bactéries* chimiosynthétiques.

Ces dernières extraient les sulfures qu’elles oxydent, de façon ménagée, puis captent l’énergie libérée, par cette réaction chimique, sous forme de molécules énergétiques. Elles utilisent alors le gaz carbonique pour élaborer les sucres qui sont à la base des synthèses organiques. Pendant leur vie, et après leur mort, les bactéries* fournissent donc au ver l’ensemble des substances alimentaires dont il a besoin.


L’intérieur ou la proximité immédiate des cheminées constitue un milieu de vie totalement différent. En effet, les fluides qui y circulent flirtent avec des températures extrêmement élevées. C’est principalement là que s’amassent les microorganismes thermophiles ou hyperthermophiles. Les thermophiles se développent entre 45°C et 100°C, voire plus. Les hyperthermophiles font partis des thermophiles, leur température optimale est supérieure à 80°C.


En savoir + : Les thermophiles, des bactéries* qui n’ont pas froid aux yeux

La température est l’une des variables les plus importantes dans notre environnement. Elle influence directement ou indirectement les activités et la distribution des micro-organismes.

En effet, les différents types de bactéries* croissent plus rapidement à une température donnée : on parle alors de température optimale de croissance. La vitesse de croissance diminue lorsque la température s’écarte de cet optimum.

Le sens du mot « thermophile » fut assez souvent mal compris et son utilisation fréquemment abusive. La définition donnée par Thomas D. Brock en 1986, est la plus largement reconnue : « un thermophile est un organisme dont les conditions optimales de croissance se situent au-dessus de 60°C« .

La classification de Stetter est actuellement la plus pratique et la plus répandue. Sur la base de leur température optimale de croissance, les organismes sont répartis en 3 groupes :

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QUELQUES EXEMPLES DE BACTERIES THERMOPHILES ET HYPERTHERMOPHILES SOUS-MARINES

Ordre

Genre

Espèce

Année d’isolement

T° maximale

Clostridiales

Carboxydobrachium

pacificum

2001

70°C

Aquificales

Persephonella

marina

2002

73°C

guaymasensis

2002

70°C

Thermotogales

Marinitoga

camini

2001

55°C

piezophilades

2002

65°C

Thermosipho

melanesiensis

1997

70°C

japonicus

2000

72°C

 

Les hyperthermophiles les plus extrêmes sont des archéobactéries.


En savoir + : Les archéobactéries, une vie extrême

Dans la classification des êtres vivants, on distinguait  traditionnellement 2 groupes majeurs : les eucaryotes et les procaryotes. Les premiers, unicellulaires* ou pluricellulaires*, possèdent des cellules au noyau bien formé alors que les procaryotes, eux, sont des êtres toujours unicellulaires* dépourvus de noyau.

C’est à ce deuxième groupe qu’appartiennent les bactéries* thermophiles et hyperthermophiles. Par la suite (1978), C.R. Woese découvre l’existence de bactéries* totalement insolites présentant des caractéristiques procaryotes mais divergeant profondément des bactéries* jusqu’alors connues, par leur physiologie et la structure de leur membrane notamment.

Le groupe des procaryotes fut alors subdivisé en deux ensembles : les eubactéries (ou bactéries vraies) et les archéobactéries.

En résumé, l’ensemble des organismes cellulaires peut donc être divisé en 3 règnes :

  • Les archéobactéries
  • Les eubactéries (bactéries vraies)
  • Les eucaryotes (animaux, végétaux, champignons)
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Les hyperthermophiles à l’intérieur de l’arbre phylogénétique*

Les eucaryotes peuvent supporter une température se situant aux alentours de 60°C même si quelques rares protozoaires, algues et champignons peuvent vivre à de telles températures. Ainsi, le ver de pompéi Alvinella pompejana, est capable de supporter des températures de 80°C, 90°C et même 100° C !

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Cependant, à de rares exceptions près, seuls les procaryotes se développent au-delà de 60°C. Et encore, ils n’ont pas tous la faculté de supporter de fortes températures. La découverte des archéobactéries en tant que troisième grand phylum de la vie fut donc un événement scientifique majeur : la découverte de l’hyperthermophilie.

En effet, s’il existe quelques eubactéries hyperthermophiles, la grande majorité des microorganismes adeptes de cette chaleur intense sont des archéobactéries.

Ces dernières font preuve d’ingéniosité pour résister à la chaleur dégagée au coeur des sources hydrothermales : tous les êtres vivants sont composés d’assemblages complexes d’atomes et de macromolécules (protéines*, acides nucléiques*) dans lesquels les atomes sont maintenus par des liaisons. L’augmentation de la température accentue l’agitation des atomes et des molécules, si bien que les liaisons se rompent. Au-delà de 120-150°C toute liaison chimique est donc irrémédiablement détruite. Mais les hyperthermophiles développent de vraies stratégies pour maintenir leurs liaisons et ainsi contrecarrer l’effet de la température sur leurs édifices moléculaires.

QUELQUES EXEMPLES D’ARCHÉOBACTÉRIES

THERMOPHILES ET HYPERTHERMOPHILES SOUS-MARINES

Ordre

Genre

Espèce

Année d’isolement

T° maximale

Pyrodictiales

Pyrodictium

abyssi

1991

110

Thermococcales

Palaeococcus

ferrophilus

2000

83

Thermococcus

aggregans

1998

88

hydrothermalis

1997

98

barophilus

1999

85

chitonophagus

1996

75

atlanticus

2003

fumicolans

1996

85

guaymasensis

1998

88

pacificus

1998

88

peptinophilus

1996

85

profundus

1995

80

siculi

2000

stetteri

1990

88

Pyrococcus

horikoshii

1999

98

glycovorans

1999

95

abyssi

1993

102

Archaeoglobales

Archaeoglobus

profundus

1990

90

veneficus

1998

Methanococcales

Methanococcus

jannaschii

1983

86

infernus

1988

85

igneus

1990

91

vulcanius

1999

80

Methanopyrales

Methanopyrus

kandleri

1992

110