Bactéries des Abysses

Rencontre avec Jean-Paul Raffin, Chercheur au CNRS

Chercheur Centre National de la  Recherche Scientifique (CNRS) Biochimie, réplication de l’ADN*

Laboratoire de microbiologie des environnements extrêmes

Pourquoi la recherche scientifique et le monde industriel connaissent-ils un tel engouement pour les bactéries* thermophiles ?

dt_bacter_0052Cette attraction pour les thermophiles vient tout simplement du fait que nous nous sommes aperçus des propriétés surprenantes de certaines bactéries*. Les extrêmophiles*, comme leur nom l’indique, prolifèrent dans des conditions de température ou encore de pression très élevées, mais personne n’avait véritablement imaginé à quel point ces conditions pouvaient être justement « extrêmes ».

Certaines bactéries* ont montré une résistance à un impact 100 fois supérieur à la bombe atomique d’Hiroshima. Immédiatement après l’impact, il ne reste pas grand chose de l’ADN*. Mais moins de 2 heures après, alors que toute forme de vie semblait totalement anéantie, l’ADN* est presque entièrement reconstitué. Le phénomène est spectaculaire !

Bien évidemment, ces bactéries* sont trop lointaines de l’homme pour pouvoir être exploitées directement. C’est là que les archéobactéries deviennent intéressantes. Ces bactéries* hydrothermales sont captivantes puisqu’elles possèdent d’énormes similitudes avec l’homme au niveau des facteurs de réplication, et qu’elles proposent aussi une résistance aux conditions de vie extrêmes. Ces deux critères permettent d’envisager des manipulations notamment dans le cadre de la maintenance du génome*. Sans oublier bien entendu les innombrables applications concernant l’industrie (cosmétique, papetière, pollution…)

Les bactéries* thermophiles ouvrent-elles encore la voie à de nouvelles applications ?

On ne peut pas véritablement parler de nouvelles applications. Mais bien entendu les bactéries* thermophiles sont souvent synonymes de solutions qui, jusque là, apparaissaient inenvisageables.

C’est le cas notamment dans le traitement de l’ADN* endommagé. De nouvelles techniques de travail avec des polymérases chaudes permettent d’entrevoir d’énormes avancées dans les projets de maintenance génomique (maintenance de l’ADN*). Les accidents ou encore la détérioration de l’ADN* ne seront peut-être plus irréversibles dans les années à venir.

La recherche sur ces organismes issus des sources hydrothermales pourrait donc apporter des solutions visant à réparer les erreurs de réplication de l’ADN*. Une véritable opportunité pour la recherche médicale, notamment dans le domaine de l’oncologie*. Mais c’est aussi une avancée sans comparaison dans le secteur des tests médicaux légaux, des tests cliniques et pour l’ensemble des techniques de biologie moléculaire*.

Cette technique ferait figure de véritable révolution. Elle permettrait de passer d’une méthode considérée comme une « simple technique » d’amplification du génome* (PCR) à une technique de reconstitution du génome*. On pourrait alors par exemple déterminer l’ADN* d’espèces animales disparues pour distinguer les différences avec les animaux actuels…

Sur quel principe repose ces nouvelles recherches?

dt_bacter_0056Ces recherches résultent de la découverte d’une enzyme* : l’ADN* polymérase translésionnelle. Une enzyme* qui offre la possibilité de passer outre les accidents ou plutôt de réparer certains évènements indésirables.

En simplifiant, l’ADN* est constitué de deux brins en vis-à-vis. Sur chaque brin, il existe une succession de 4 types de bases (adénine, guanine, thymine, uracile) qui sont associées aux bases voisines de l’autre brin. L’accident que j’ai évoqué précédemment correspond par exemple à l’absence d‘une base dans cette succession. L’ADN* polymérase translésionnelle est alors très intéressante puisqu’elle permet de combler cette lacune. L’enzyme* insère tout simplement une nouvelle base sur le brin.

A l’heure actuelle, ces recherches progressent mais elles n’en sont encore qu’à leur balbutiement. En effet, si l’on comprend désormais ce phénomène, il reste encore de nombreux points d’ombre pour véritablement exploiter cette découverte. Par exemple, nous ne savons toujours pas exactement par quelle information la base manquante est remplacée même s’il semblerait que ce soit généralement une base adénine qui est utilisée pour combler ce vide.

Ce système permet d’entrevoir des solutions lors des « dérèglements de notre machinerie génétique » comme certains cancers peuvent l’occasionner. Des solutions qui éviteraient peut-être la mort de la cellule. Mais ce ne sont encore que des hypothèses…