A l’instar des microorganismes thermophiles, il existe chez les mésophiles* issus des écosystèmes hydrothermaux profonds quelques bactéries* aux propriétés toutes aussi captivantes. Ces microorganismes sont des sources potentielles de polymères* qui présentent un intérêt biotechnologique. Parmi ces polymères*, il convient de citer les polyesters « biodégradables » et les exopolysaccharides bactériens.
Ces polysaccharides* ont des caractéristiques très intéressantes tels que :
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Faciliter l’adhésion bactérienne aux surfaces
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Piéger les oligo-éléments nécessaires à la croissance des micro-organismes à l’intérieur d’un biofilm,
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Protéger contre les agressions biologiques ou chimiques.
En savoir + : Polymères* bactériens d’origine hydrothermale
Certains polymères* ont des structures proches de polymères* déjà commercialisés. Ainsi, le polymère produit par la bactérie hydrothermale Vibrio diabolicus a une composition chimique proche de celle de l’héparine, polysaccharide d’origine animale qui possède des activités biologiques (activités anticoagulantes) importantes.
Des études sont également en cours afin de modifier, par voie enzymatique ou chimique, la nature et la structure de ces polysaccharides*. L’objectif : leur conférer des activités et/ou des propriétés spécifiques. Par exemple, des études visent à sulfater et à dépolymériser par hydrolyse* chimique ou par voie radicalaire, quelques polysaccharides*, l’ensemble de ces modifications ayant pour objet de générer chez ces polymères* modifiés des activités biologiques et des applications dans le domaine pharmaceutique.
L’environnement pourrait d’ailleurs profiter des largesses de ces polysaccharides* pour réaliser des matériaux « biosorbants*« . Une hypothèse qui apparaît désormais comme une alternative aux techniques conventionnelles de récupération des métaux, souvent coûteuses et peu performantes.
Depuis moins d’un an, une nouvelle application est apparue avec les polyesters biodégradables : sept souches ont été isolées qui permettront la production de plastiques biodégradables.
En savoir + : Matériaux biosorbants* pour lutter contre la pollution par les métaux lourds
Utiliser des métaux dans le secteur industriel n’est pas sans conséquences. Les résidus toxiques sont disséminés dans l’environnement. Et c’est un phénomène qui ne cesse d’augmenter (exemple : effluents industriels aqueux). Un phénomène qui représente un danger important pour les organismes vivants, notamment du fait de l’accumulation des métaux lourds dans la chaîne alimentaire.
La présence de micro-organismes dans les milieux hydrothermaux où règnent de fortes teneurs en métaux lourds, laisse supposer que ces microorganismes s’y sont adaptés.
Certains d’entre eux comme les exopolysaccharides bactériens présentent même des fonctions acides ou aminées qui leur confèrent d’importantes propriétés de rétention de métaux. Ces polymères* sont donc logiquement considérés comme de potentiels substituts aux polymères* et résines synthétiques utilisés à cet effet.
De nombreux secteurs industriels sont également intéressés par ces polysaccharides* :
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Industrie du pétrole (récupération assistée du pétrole)
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Industrie agroalimentaire (agents texturants : épaississants, gélifiants, stabilisants, etc.
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Industrie dans le domaine de la chimie et des produits phytosanitaires (enrobage de semences ou de pesticides)
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Cosmétologie, industrie pharmaceutique (régénérations tissulaires pour les os, les problèmes de derme ; chirurgie dentaire)
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Environnement (biosorbants*).
Biopolymère* |
Origine (exemples de microorganismes producteurs de ces polysaccharides*) |
Propriétés fonctionnelles |
Applications |
Xanthane |
Xanthomonas campestris |
Epaississant |
Pétrole, Industrie agroalimentaire |
Gellane |
Sphingomonas sp |
Gélifiant |
Industrie agroalimentaire |
Curdlane |
Alcaligenes faecalis var. myxogenes |
Industrie agroalimentaire |
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Wellane |
Développement |
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Rhamsane |
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Développement |
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Dextrane |
Leuconostoc mesenteroides |
Adsorbants* |
Pharmacologie |
Alginate |
Azotobacter vienlandii Pseudomonas aeruginosa |
Gélifiant |
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Pullulane |
Aureobasidium pullulans |
Texturant/filmogène |
Industrie agroalimentaire |
Scéroglucane |
Sclerotium sp. |
Pétrole/ophtalmologie |
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Cellulose* |
Acetobacter xylinum |
Epaississant |
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Emulsan |
Acetinobacter calcoaceticus |
Emulsifiant |
Pétrole/chimie |
Cyclosporane |
Rhizobium/ Agrobacterium sp. |
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Phosphomannan |
Rhizobium meliloti/ Hansenula sp. |
Thixotropie* |
Chimie/cosmétologie |
Principaux polymères* d’origine microbienne issues des sources hydrothermales profondes
En savoir + : L’industrie cosmétique
L’industrie cosmétique est de plus en plus attentive aux microorganismes marins (tels que macroalgues, microalgues, phytoplancton). Un comportement qui se justifie par leur production de molécules originales (polymères*, enzymes*…).
Depuis plusieurs années, les polysaccharides* des bactéries* mésophiles* et les enzymes* thermostables issues des bactéries* et des archéobactéries hydrothermales sont elles aussi convoitées par l’industrie cosmétologique.
Le laboratoire Lanatech s’est donc associé à l’Ifremer et a développé un actif portant le nom de Abyssine 657®. Actif dont l’exopolysaccharide, le Deepsane, est issue d’Alteromonas macleodii. Le polysaccharide est synthétisé par ce microorganisme avant d’être évacué. Une fois précipité, purifié, séché, il se présente sous forme de fibres cotonneuses d’un blanc éclatant. Son analyse structurale montre qu’il s’agit d’un résidu d’acide glucuronique substitué en 3 par un groupement lactate. Ses propriétés sont enthousiasmantes pour les industriels : anti-UV, effet anti-irritant et restructurant.
Vénuceane®, quant à lui, a été développé par le laboratoire Sederma en partenariat avec le CNRS. Il est issu de Thermus thermophilus, isolée à près de 2000 mètres sur les flancs d’un fumeur noir dans le bassin de Guymas du golfe de Californie. Cette bactérie vit sous 20 Mpa* de pression à une température optimale de 72°C sans parler des concentrations salines élevées. L’actif est aujourd’hui commercialisé sous forme de solution hydroglycolique (eau, glycérine) et il est utilisé pour sa capacité à inhiber les espèces oxydantes toxiques et à protéger les cellules contre les rayons UV. C’est un puissant antioxydant activé par la chaleur.
Les polysaccharides* intéressent également les organismes de recherche médicale. Ainsi, le Groupement d’Intérêt Scientifique (Gis) appelé GIENSAT – Groupe Interdisciplinaire d’Etude de Nouvelles Stratégies Anti-Tumorales – a pour mission de découvrir de nouveaux traitements du cancer à partir des produits d’origine marine. Il a développé l’utilisation des polysaccharides* pour limiter les inconvénients de la chimiothérapie en aidant à mieux cibler l’action des médicaments sur les seules cellules malades.
Créé en septembre 2003, le Gis-GIENSAT regroupe le CHU de Brest, le Laboratoire de thérapie cellulaire de l’institut de cancérologie et d’hématologie et le Laboratoire d’anatomie-pathologique. Il faut aussi citer le Laboratoire de biotechnologie des molécules marines de l’IFREMER et le Laboratoire de chimie et de biologie des substances naturelles de la faculté des sciences de l’université de Bretagne Occidentale qui se sont engagés dans l’aventure. Précisons que deux partenaires industriels ont rejoint il y a maintenant près de deux ans le Gis-GIENSAT : le Laboratoire Roche et l’entreprise MAT (Monoclonal Antibody Technology).
Malgré tout et bien qu’ils soient parfois utilisés en remplacement de leurs homologues mésophiles* dans certains procédés biotechnologiques, les microorganismes et enzymes* thermophiles n’ont pas livré tout leurs secrets. D’autant que les industriels n’ont pas encore optimisé leurs potentialités. Les connaissances sur les mécanismes de la thermophilie, sur la physiologie, l’enzymologie et la génétique de ce groupe, découverts il y a seulement une vingtaine d’années restent encore limitées, même si la recherche ne cesse de progresser.
Les microorganismes thermophiles constituent donc un gisement de molécules nouvelles en perpétuelle évolution. Il est d’ailleurs probable que les enzymes* utilisées actuellement dans les différents secteurs industriels aient une version plus stable provenant toutes d’un organisme extrêmophile. Une idée qui laisse rêveur bon nombre d’industriels…
Dans l’avenir, l’étude et la découverte des potentialités de ces organismes et de leurs enzymes* seront facilitées par les techniques de criblages rapides basées sur la biochimie et le génie génétique*, par les études de séquençage systématique des génomes* et par les études de thermostabilité*. Ce domaine est donc en évolution perpétuelle et reste un sujet d’actualité permanent.