Guy SCIARRONE

Les plongées

Que ressent on la première fois qu’on entre dans les abysses, qu’on pénètre dans la zone sans lumière ?

Depuis mon enfance je suis attiré par le milieu marin. Je suis né à Marseille, ville que j’ai quittée après y avoir vécu 29 années. C’est un lieu de prédilection pour l’exploration sous-marine : j’ai passé tous mes diplômes de plongée dans la région et j’ai travaillé durant 2 années à COMEX équipements. Mon incursion dans le monde du silence a été progressive mais passionnante. J’ai découvert les abysses en décembre 1973, en plongeant plusieurs fois à des profondeurs supérieures à 1 000 mètres.

En dehors des sites hydrothermaux et des épaves de toutes sortes, le plaisir vient surtout du fait que l’on peut évoluer en trois dimensions dans ce milieu hostile, avec un engin qui nous a demandé beaucoup d’heures de travail pour atteindre ce niveau de performance et de sécurité.

 

Vous avez participé à des plongées emblématiques : FAMOUS ; l’épave du Titanic. Pouvez-vous nous en parler ? Aviez-vous à l’époque le sentiment de participer à des expéditions fondamentales scientifiquement et historiquement ?

 1974 est le début des premières campagnes opérationnelles avec Cyana, et FAMOUS annonce une série de campagnes, pour les géologues, sur les mouvements des plaques océaniques. Avec FAMOUS, ils souhaitaient trouver une manifestation du phénomène d’hydrothermalisme, mais ce ne fut pas le cas. Les premiers sites hydrothermaux sont observés en 1978 lors de la campagne CYAMEX dans le Pacifique au large du Mexique.

Pour le Titanic, l’IFREMER faisait depuis plusieurs années des recherches sur les traces du naufrage. Différentes archives ont été consultées dans le but de délimiter une zone de recherche la plus précise possible. Toutes ces données sont utilisées lors de la campagne de 1985. Le Suroit sera le navire de surface avec à son bord un sonar acoustique remorqué, équipé d’un magnétomètre très performant.

Le 24 juillet 1987, j’ai piloté le Nautile pour sa première plongée sur l’épave du Titanic. À bord, Max DUBOIS était la navigateur et Paul-Henri NARGEOLET le passager. La plongée a duré 9h03.

La proue de la célèbre épave. Photo prise le 29 juillet 2024 par RMS Titanic, Inc.

Les deux parties de l’épave ne sont pas encore correctement positionnées et on ne connait pas leurs orientations respectives. À l’aide du sonar panoramique une partie de l’épave est détectée : un fort écho apparait sur l’écran et la sortie audio nous donne une signature caractéristique d’une grosse masse métallique.

Nous arrivons sur le côté tribord au niveau de la cale avant, la visibilité est bonne, on n’aperçoit pas encore la coque, il faut gravir un talus de plusieurs mètres avant de voir les formes de ce monstre d’acier.

L’étrave en arrivant sur le fond a tracé un sillon comme le soc d’une charrue. Le poste de pilotage du Nautile est sur bâbord, à mesure que j’avance, j’ai une vue incroyable et magique sur cette partie de l’épave avec son étrave et sa tête de proue. Ensuite je me positionne afin que Paul-Henri puisse lui aussi profiter de ces longues minutes inoubliables de balade sur la plage avant avec ses 2 énormes cabestans, gravés sur le dessus « Harland & Wolff ». C’est le chantier naval qui a construit la plupart des paquebots de la White Star Line dont l’Olympic et ses sister-ships le Titanic et le Britannic.

Caméras vidéo et photos enregistrent notre évolution sur toute la partie avant de l’épave, nous pourrons, à notre retour en surface, faire partager à toute l’équipe tous ces moments inoubliables.

 

Racontez nous votre plongée la plus profonde ? Quelle a été votre plongée la plus mémorable ?

J’ai effectué 4 plongées entre 5 999 et 6 003 mètres, à ces immersions il n’y a pas grand-chose à voir. J’ai plongé le 13 août 1985 à 6 000 mètres lors de la mission KAIKO-NHK. Une nasse avec des déchets de viande a été envoyée sur le fond. Le but était d’attirer le maximum d’espèces des grands fonds, mais au cours de cette plongée la seule espèce que nous avons vue était un spécimen de requin dormeur.

Nous étions très satisfaits de voir enfin cette espèce de requin qui n’est pas obligé d’évoluer pour avoir un échange d’oxygène avec ses branchies, contrairement aux autres requins communs.

Lors de la campagne TITANIC de 1996 l’astronaute Buzz ALDRIN était avec nous sur Le Nadir… Cet ancien militaire, pilote d’essai, ingénieur qui a effectué 3 sorties dans l’espace et marché sur la lune est notre passager lors d’une plongée. Je lui ai fait découvrir l’épave du Titanic. C’est un moment exceptionnel, une plongée avec un homme qui a marché sur la lune, il est le seul à avoir ce record, une sacrée distance entre notre immersion à 3 760 mètres, et la distance qui sépare la Terre de la lune : 384 467 km…

Un peu avant la remontée, il y a eu la séquence souvenir. Sous ma combinaison j’avais un tee-shirt avec une  reproduction du Titanic. Après avoir ôté le haut de ma combinaison de plongée et mon tee-shirt, Buzz ALDRIN me l’a signé au dos. J’ai depuis ce jour-là une relique, souvenir de cette plongée unique et exceptionnelle.

Buzz ALDRIN et Paul-Henri NARGEOLET dans la sphère du Nautile