« Au nom de la mer » : seconde table ronde scolaire.
Le 15 octobre 2019, l’événement #GénérationOcéan de La Cité de la Mer a accueilli : Mohamed BOUTOUIL, Directeur Délégué / Directeur de la Recherche, ESITC Caen ; Sylvie CHOPIN, Directrice Recherche et Développement du Pôle Cosmétique & Hygiène, Laboratoires Gilbert ; Laurence HÉGRON-MACÉ, Chef de projet – Pôle Pêche, SMEL (Synergie Mer Et Littoral) ; Céline ZATYLNY-GAUDIN, Maître de conférences à l’antenne de Caen de l’UMR BOREA et responsable du laboratoire BOREA.
Le littoral normand, une source d’innovation sous surveillance
« La France est le deuxième domaine maritime le plus vaste au monde. C’est donc un enjeu très important pour le pays. La Normandie : c’est quasiment 800 km de côtes et tout cela offre un potentiel extraordinaire et de nombreuses opportunités » introduit Stéphanie SÉJOURNÉ (Chef des informations régionales Normandie, Ouest France). Ce littoral et ses ressources marines sont sous surveillance. Le SMEL évalue, ainsi, au travers du suivi de plusieurs pêcheries normandes (bulot, homard, coquille Saint-Jacques) l’état de l’abondance des populations marines en partenariat avec le Comité Régional des Pêches Maritimes et des Élevages Marins de Normandie (CRPMEM). Laurence HÉGRON-MACÉ prend l’exemple du bulot, une espèce d’eau froide, directement impacté par le changement climatique. « Il faut trouver un juste équilibre entre l’activité économique de la pêche et la gestion durable de la ressource naturelle » déclare Laurence HÉGRON-MACÉ.
La recherche au service de l’innovation
« La recherche c’est une pochette surprise, nous avons la chance à l’université de faire des recherches sur ce que l’on veut mais il faut que cela soit utile à d’autres comme les entreprises par exemple » explique Céline ZATYLNY-GAUDIN. Dans le cadre de ses recherches sur les systèmes de défense des animaux marins face aux infections microbiennes, elle a identifié, avec ses équipes, trois antibactériens dans le venin du poisson-lion (présent dans un des aquariums de La Cité de la Mer, partenaire du projet) qui sont testés par une entreprise normande avec pour objectif final de remplacer les antibiotiques dans l’élevage animal (aquaculture…).
Sylvie CHOPIN confirme : « le travail du chercheur c’est d’avoir des idées, de découvrir des éléments et de les publier pour valoriser sa recherche. Nous, dans l’entreprise, nous réalisons une veille sur ces publications qui nous permet de susciter de nouvelles idées et fabriquer de nouveaux produits. » Loin de l’image du chercheur sans conscience, Céline ZATYLNY-GAUDIN rappelle : « aujourd’hui, le chercheur ne tue plus les animaux, il fait en sorte de les étudier en respectant leur bien-être. » Elle insiste, avec Mohamed BOUTOUIL sur la nécessité de transmettre aux étudiants, futurs professionnels (ingénieurs ou chercheurs), une conscience environnementale pour travailler autrement tout en préservant la ressource et la biodiversité.
L’industrie normande et la mer
Du laboratoire à l’entreprise, il n’y a qu’un pas… Ainsi, comme le rappelle Sylvie CHOPIN, le service Recherche et Développement répond à un cahier des charges établi le plus souvent par le service marketing. « Notre métier c’est d’aller chercher des matières premières pour répondre à un cahier des charges. C’est de la cuisine, on mélange des ingrédients entre eux et on s’assure que le produit est stable et réalisable, non plus en laboratoire avec des échantillons de 100 ml, mais à une échelle industrielle avec des batch (ndlr : production par lot) de plus de 20 tonnes. ». Il faut également adapter les « process » industriels en fonction des origines et des variations saisonnières des matières premières (algues, eau de mer…). « Travailler la ressource naturelle est un enjeu en termes de traçabilité pour réussir à avoir des produits reproductibles. Il faut que nous fabriquions des produits économiquement viables » insiste Sylvie CHOPIN.
Un argument confirmé par Mohamed BOUTOUIL : « C’est une chose que le produit fonctionne en laboratoire mais il faut le transposer ensuite dans une véritable usine de production. ». Fabriqué et commercialisé par une entreprise, le pavé drainant a déjà été utilisé à Caen (deux lieux dont le parking de l’ESITC), à Nice (chantier du tramway) et à Wimereux dans le Pas-de-Calais (réfection d’une place de 2 000 m2 ). « On a un véritable écosystème : on part des producteurs de coquilles, on passe aux recherches en laboratoire qui mènent au dépôt d’un brevet pour arriver enfin à la production finale d’un produit » conclut Stéphanie SÉJOURNÉ.
Les biotechnologies marines normandes au service de l’environnement
En Normandie, les co-produits coquilliers issus des activités de la conchyliculture ou de la pêche (coquilles de moules, huîtres, Saint-Jacques, pétoncles…) sont nombreux comme le confirme Laurence HÉGRONMACÉ qui est chargé, en partenariat avec IVAMER et Natureplast, de faire l’inventaire des déchets de coquillages en Normandie pour les valoriser sous forme d’objets en plastique ! Mohamed BOUTOUIL acquiesce : « Actuellement, en Normandie, entre 20 000 et 40 000 tonnes de co-produits coquilliers sont mis à la décharge (en France ce sont 250 000 tonnes), ce qui peut paraître aberrant car c’est à la fois un coût pour le producteur et pour la collectivité. »
Ainsi, les coquilles de Saint-Jacques présentent des propriétés intéressantes dans la fabrication et la résistance du plastique. Une fois broyées, elles sont incorporées au polypropylène en remplacement de la craie extraite des carrières. « Si on la pêche de manière durable, la coquille est une alternative à l’utilisation de la craie dans la fabrication de plastique utilisé, par exemple, dans les engins de pêche : filets de pêche en nylon, chaluts, casiers, qui sont pour l’instant, fabriqués à base de plastique issu du pétrole, et ne sont pas recyclables » explique Laurence HÉGRON-MACÉ. Le SMEL s’intéresse également aux biomatériaux : des plastiques biodégradables ou compostables.
Du côté de la construction, devant la forte consommation de ressources naturelles finies (sable, gravier, granulats…), extraites de carrières, et utilisées pour fabriquer du béton, des routes, des quais etc., les coproduits coquilliers normands font également l’unanimité ! « Les enjeux du secteur de la construction : c’est de construire mieux, moins cher, avec moins de matière et en limitant l’impact sur l’environnement » rappelle Mohamed BOUTOUIL. Ainsi, l’ESITC valorise les co-produits coquilliers au travers d’un pavé drainant conçu pour les chaussées à faible trafic (parkings, trottoirs, places piétonnes…) et alliant trois avantages : le recyclage des coquillages ; la préservation des ressources naturelles ; la limitation des risques d’inondation en milieu urbain.
La préservation de l’environnement, intervient aussi dans le cadre de mesures compensatoires (exemple : installation d’éoliennes offshore) explique Mohamed BOUTOUIL qui, en partenariat avec BOREA et TPC, a conçu 12 récifs artificiels avec des matériaux bio-réceptifs (c.-à-d. capables d’améliorer la biodiversité) constitués de blocs de béton notamment à base de coquilles. Immergés dans la rade de Cherbourg depuis 2017, la biodiversité y a pris ses quartiers ! « Ces récifs sont des immeubles à poissons ! » plaisante Mohamed BOUTOUIL. Mais cette réussite ouvre aussi de nouvelles perspectives pour les infrastructures maritimes (quais, digues…) avec la conception de nouveaux blocs bétons bioréceptifs et de « rock-pool » – des petits piscines qui seront accrochées sur les quais et amélioreront la biodiversité. « Jusqu’à présent les infrastructures maritimes sont conçues uniquement pour des fonctions techniques avec un but économique. Notre idée c’est d’y adjoindre des fonctions environnementales et de construire autrement » explique Mohamed BOUTOUIL qui ajoute que le laboratoire de recherche de l’ESITC a également des demandes pour concevoir des habitats spécifiques à l’élevage de l’huître plate qui pourrait donc être réintroduite en Normandie.
Les biotechnologies marines normandes au service de la santé et de la cosmétique
« Lorsque Laurent BATTEUR, PDG des Laboratoires Gilbert, a racheté, en 1998, la société Algotherm, il était déjà convaincu de l’intérêt des produits issus de la mer » déclare Sylvie CHOPIN. Ces ressources naturelles marines comme les algues (qu’elles soient macroscopiques1 ou microscopiques2) ou l’eau de mer, sont, selon elle, porteuses en termes de marketing car elles sont positives pour le consommateur évoquant la naturalité et le bénéfice santé. « Les algues ont des propriétés spécifiques qu’on ne retrouve pas dans l’univers végétal terrestre. » Selon Sylvie CHOPIN, 3 000 matières premières sont référencées dans leur catalogue et 25% des 200 formules développées par an sont issues de ressources marines – comme les algues – qui peuvent être intégrées sous trois formes :
- les ingrédients fonctionnels (pas d’effet thérapeutique) qui apportent la texture (sucres issus des algues…) ou un colorant (comme la phycocyanine – qui a aussi un effet actif -, la chlorophylle…) ;
- les conservateurs comme les algues riches en polyphénol qui ont des activités antimicrobiennes ;
- les principes actifs issus par exemple des mécanismes de défense des algues dans un milieu hostile (propriétés antioxydantes, hydratantes, cicatrisantes…)
Les entreprises sont également confrontées à la forte demande des consommateurs pour des engagements éthiques et environnementaux (Démarche de Responsabilité Sociale des Entreprises) via le recyclage et l’impact environnemental de leur achat. « L’univers de la beauté et du bien-être doit avoir un message valorisant l’environnement et le développement durable » déclare Sylvie CHOPIN. Les ressources marines ont encore de belles perspectives de découvertes. Sylvie CHOPIN et ses équipes cherchent actuellement à identifier dans les ressources marines de futurs produits de santé qui remplaceront la médecine allopathique (produits issus de molécules de synthèse comme l’ibuprofène, le paracétamol…). L’idée étant également d’utiliser la ressource dans son entier et pas seulement une molécule.
Les métiers de la mer en Normandie
De belles perspectives d’avenir pour les métiers de la mer en Normandie et une vraie diversité de profils : on recrute des techniciens et des chercheurs (du niveau Bac+2 (BTS, DUT) ou Bac+3 en Génie chimique ou Génie biologique au niveau Masters/Thèses/Écoles d’ingénieur en chimie ou biologie) mais aussi des communicants (community manager), des informaticiens, des chargés de la réglementation/qualité (notamment pour l’export des produits), des ingénieurs (mise au point des machines pour fabriquer les produits ; ingénieurs travaux ou de bureau d’études pour la construction…).
Des formations et des métiers qui sont ouverts aussi bien aux garçons qu’aux filles !