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Lydie LESCARMONTIER © Aymeric Picot, La Cité de la Mer
Lydie LESCARMONTIER © Aymeric PICOT, La Cité de la Mer

Lydie LESCARMONTIER, Médiatrice scientifique-glaciologue

Glaciologue de formation. Médiatrice scientifique au sein de l’International Cryosphere Climate Initiative.

Une carrière au grè du hasard… et de la chance

Rien ne prédestinait Lydie LESCARMONTIER à devenir glaciologue… et pourtant… après l’obtention d’un diplôme d’Ingénieur Agronome à l’École nationale supérieure agronomique de Toulouse – ENSAT dans laquelle elle s’est, dit-elle, « ennuyée », elle s’oriente vers l’océanographie. Elle commence enfin à « s’amuser » !

Elle obtient en 2008 un Master Recherche en Océanographie et Météorologie à l’École Nationale de la Météorologie – ENM à Toulouse. Mais c’est en poussant, presque par hasard, les portes du Laboratoire d’Études en Géophysique et Océanographie Spatiales – LEGOS à Toulouse que sa carrière de glaciologue débute. Alors que le délai de dépôt de candidature est dépassé, on lui confie un stage de 5 mois qui consiste en « l’analyse de données GPS en Antarctique sur des mouvements de grande échelle ». Son maître de stage, le glaciologue Benoît LEGRÉSY, se trouve alors au fin fond de l’Antarctique et n’a pu consulter ni ses mails, ni les autres candidatures.

« Le mot Antarctique m’avait fait rêver. À présent, j’entrais dans le dur. Seul hic : Sud ou Nord, j’ignorais tout des pôles, et mes modestes compétences relevaient plutôt de la biologie. J’avais intérêt à sacrément m’accrocher. »

Ce stage se concrétise très vite par la préparation d’une thèse intitulée « Étude des processus de fracturation et vêlage d’icebergs en Antarctique – une histoire du glacier Mertz ». Cette thèse, dirigée par Benoit LEGRÉSY et le glaciologue australien Richard COLEMAN (Université de Tasmanie – Australie), a pour objet l’étude de l’évolution du glacier Mertz, en Antarctique de l’Est, dans le cadre du projet CRAC-ICE.

Le projet CRAC-ICE a été développé en lien avec l’Institut Polaire Paul Émile Victor – IPEV, le CNRS et l’Université de Tasmanie pour suivre l’évolution du glacier Mertz dans sa dynamique de vêlage* ainsi que le devenir de son iceberg géant. Dans ce cadre, Lydie doit participer à 4 missions de terrain (2008-2009-2010-2011) avec le support logistique du brise-glace Astrolabe. Une dizaine de GPS autonomes équipés d’éoliennes, de panneaux solaires et de systèmes de communication doivent être installés sur la langue de glace du glacier Mertz.

Le coup de foudre… et la poisse…

Le 1er novembre 2008, c’est à bord de l’Astrolabe qu’elle rencontre pour la première fois le continent blanc. C’est l’émerveillement :

« La mer avait disparu. Sous un soleil d’un bleu indigo s’étendait, à perte de vue, un immense champ de glace, où dansaient çà et là de légères volutes de brume scintillant au soleil. Je me figeai, émerveillée. C’était comme le premier matin du monde. Du blanc, rien que du blanc, à l’infini… »

Malheureusement, la joie est de courte durée. Un bloc de glace a endommagé l’une des hélices de l’Astrolabe… Il faut faire demi-tour. Un an plus tard, Lydie est de retour sur le navire pour relever les GPS installés par Benoit LEGRÉSY en 2007 sur le glacier et mettre en place d’autres instruments qu’elle a développés.

« Et ce fût le calme absolu. Une onde de joie m’envahit. Je venais enfin de le réaliser : après avoir passé près de deux ans à rêver ce moment, pour la première fois de ma vie, je me tenais debout sur le continent blanc. »

Malheureusement tous les GPS ne sont pas retrouvés. Durant sa thèse, Lydie rencontre de nombreux autres obstacles pour mener à bien les missions de terrain sur le glacier. En effet, en 2010 une hélice est encore endommagée, l’Astrolabe fait à nouveau demi-tour. Des compagnons de voyage autorisés à rejoindre la station scientifique Dumont d’Urville disparaissent tragiquement dans un accident d’hélicoptère.

L’année suivante, c’est une autre épreuve qui l’attend : elle et ses compagnons restent 56 jours prisonniers à bord de l’Astrolabe au milieu de la banquise. Un phoque-léopard manquera aussi un jour de la croquer. Mais sa pugnacité la rend chaque jour plus forte et elle ne se laisse jamais abattre. Elle profite de cette pause forcée pour peaufiner sa thèse.

Le glacier Mertz dans tout ça ? Contre toute attente, il a vêlé « accidentellement » en février 2010. Un iceberg géant est en effet venu percuter le glacier lors d’une grande marée et en a accéléré la cassure ! Ce nouvel iceberg porte alors le nom C28, un beau spécimen d’environ 78 km de long et 39 km de large.

Ses camarades du LEGOS diront alors à Lydie qu’elle tient « la thèse du siècle ». Et en effet, malgré toutes les difficultés rencontrées, elle obtient les félicitations du jury lors de sa soutenance en 2012.

Elle s’installe de 2012 à 2015 en Australie pour travailler à l’Australian National University en tant que chercheuse glaciologue post doctorante. Elle y étudie l’impact du changement climatique sur la calotte Antarctique à l’aide de données géophysiques et travaille sur le calcul du rebond post-glaciaire en Antarctique. Elle est responsable de 3 missions aéroportées de suivi de l’évolution de la petite calotte de glace de la Terre Enderby (Territoire antarctique australien).

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© Lydie LESCARMONTIER

Mais tel un « chat noir », Lydie se voit contrainte d’annuler successivement deux missions en raison d’une météo capricieuse. Pour autant, elle ne baisse pas les bras. Elle ne peut pas se rendre en Terre Enderby tandis qu’elle est en transit dans une des bases du Territoire antarctique australien, elle en profite pour bivouaquer avec un guide aguerri ou aider une ornithologue à compter les manchots.

« Souvent, avec John et quelques-uns des hivernants, nous partions pour la journée visiter les manchots ou crapahuter dans les glaces… Cette vie me plaisait infiniment, et je me prenais à rêver d’en faire la mienne. »

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Manchots Empereurs

Le doute et un tournant décisif

En 2014, l’intérêt pour la recherche décroit, le doute s’installe. Ces séjours en Antarctique lui ont surtout fait entrevoir l’inéluctable réchauffement climatique…

« Toute seule devant mon ordinateur, je ruminais ces huit années de ma vie consacrées à la recherche. Tant d’efforts, pour quel résultat ? Pour une mission menée à bien, combien d’échecs et d’argent gaspillé en vain ! Et pendant ce temps, l’océan continuait de se réchauffer… »

La décision est prise, elle démissionne de son post doc. Elle se lance alors dans une autre aventure comme guide spécialiste des glaciers sur les territoires du Spitzberg, du Groenland, de l’Islande, de l’Arctique russe, des îles Subantarctiques, de l’Alaska et de la calotte antarctique.

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Glacier du 14 juillet - Spitsbergen, îles Svalbard, Norvège © Lydie LESCARMONTIER

C’est à l’occasion d’une mini-conférence sur le réchauffement climatique auprès d’une douzaine de touristes qu’a lieu le déclic : faute de faire de la science, elle la diffusera. Il est encore temps d’éduquer pour prévenir car les signaux d’alerte se multiplient.

La science au service de l’éducation

De 2016 à 2018, elle est vice-Présidente chargée de la médiation de l’APECS-France, une association de jeunes scientifiques et éducateurs des régions polaires qui se propose de faire découvrir aux élèves de primaire, collège et lycée, ainsi qu’au grand public, les milieux polaires et les recherches scientifiques qui y sont menées au travers de conférences en ligne (La Semaine Polaire) ou la mise en place de projet de classe (Les Savanturiers des Glaces).

« Ce qui est marquant pour moi, c’est de voir des adultes venant des tropiques travailler sur la fonte des glaces ou faire des expériences sur l’acidification des océans comme le feraient des enfants dans leur classe avec des pailles, des coquillages et quelques bacs à glaçons. »

En 2018, Lydie est médiatrice et responsable scientifique au sein de l’Office for Climate Education, une fondation internationale basée à Paris, sous l’égide de l’UNESCO. Elle permet aux enseignants de s’emparer de la question climatique. Dans ce cadre, elle a co-écrit avec notamment l’océanographe et médiatrice scientifique Nathalie MORATA, un guide pédagogique destiné aux professeurs du premier et du second degrés intitulé « Le Climat entre nos mains – Océan et Cryosphère ».

Elle met aujourd’hui ses compétences au service de l’ONG américano-suédoise International Cryosphere Climate Initiative en tant que directrice pour les actions liées à l’Antarctique. Son rôle : former les décideurs politiques – dans le cadre des négociations climatiques – et défendre l’avenir des régions polaires.

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« La Voix des pôles » (Flammarion) © Lydie LESCARMONTIER

Lydie a écrit 2 livres plus personnels. « L’Empreinte des glaces – carnet de voyage de l’Astrolabe » en 2018, aux éditions Elytis raconte avec l’illustrateur Romain GAROUSTE, le dernier voyage de l’Astrolabe en Terre Adélie avant sa réforme. Paru en 2021, « La Voix des pôles » (Flammarion) revient sur sa carrière de recherche à travers un récit de voyage drôle et épique. Lydie LESCARMONTIER travaille actuellement sur la réalisation d’un documentaire au Groenland qui devrait allier science et photographie.

Elle a, à ce jour, participé à plus de 25 expéditions en Antarctique, mais aussi en Géorgie du Sud, Svalbard, Groenland, Islande, Arctique Russe, Alaska en bateau ou en complète autonomie.

Glossaire

*Vêlage : Rupture d’un glacier donnant naissance à un bloc de glace, l’iceberg.