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Guy SCIARRONE
Guy SCIARRONE

Le parcours de Guy SCIARRONE

Pouvez-vous nous présenter votre parcours à l’Ifremer ?

Avant de faire partie de l’équipe opérationnelle de l’engin habité Cyana je suis resté 2 années au département électronique de COMEX. Début 1972, je quitte la COMEX pour rejoindre le CNEXO [ancien Ifremer]. La « Soucoupe Plongeante SP3000 » n’est pas encore opérationnelle, je suis affecté comme technicien électronicien-plongeur et pilote sur cet engin.

La technologie et en particulier les composants électroniques, micro électroniques et les techniques de transmission sont en pleine évolution. D’octobre 1976 à octobre 1979, je retourne en fac afin d’obtenir une maitrise des sciences et techniques en Télécommunications.

Fin 1979 je suis affecté comme ingénieur responsable technique de Cyana, c’est-à-dire Chef pilote et plongeur.

Le GENAVIR est créé courant 1976. Il est chargé de la mise en œuvre et de l’entretien des navires et engins sous-marins. Comme j’ai le « virus » de la plongée en engins habités je choisis de rester dans les équipes opérationnelles. Mais j’ai encore la possibilité durant 2 années de réintégrer le CNEXO.

Vers 1974 le projet d’un deuxième engin habité, SM97 est lancé en collaboration avec DCN-Toulon. De nombreux éléments sont d’ailleurs réalisés à l’arsenal de Cherbourg. Fin 1982 je suis associé à ce projet. Cet engin habité autonome capable de plonger à 6 000 mètres, sera baptisé ensuite Nautile.

Une équipe, composée de personnel CNEXO et GENAVIR, est mise en place. Elle est affectée au montage et aux essais des différents équipements. Le montage est effectué à l’arsenal de Toulon. Le sous-marin est un prototype : je suis chargé de suivre tout ce travail, et de rédiger tout un tas de documents.

Avant la première plongée d’essai à la mer du 4 novembre 1984, je participe aux essais du système de régénération de l’air réalisés à terre, sphère fermée, avec 2 techniciens. Il fallait que les analyses soient satisfaisantes afin de pouvoir effectuer les premiers essais à la mer.

Jusqu’en 1995, je suis responsable technique du Nautile et chef pilote. J’assure aussi la formation des futurs pilotes. À partir de 1996 je suis nommé chef du service « Navigation / Assistance (SNA) ». 2 engins, le Griffon – sous-marin habité plongeant 600 mètres – et l’ERATO – robot sous-marin plongeant à 1 200 mètres – sont pris en charge dans nos services. Je fais partie de l’équipe d’entretien, de mise en œuvre et du pilotage de ces 2 engins.

Nautile © Ifremer
Le Nautile © Ifremer
Le sous-marin Cyana
Le sous-marin Cyana © Ifremer, P-H NARGEOLET

Comment devient on pilote ? Quelles qualités faut-il avoir ?

Durant ma carrière comme responsable technique de 3 sous-marins habités – Cyana, Nautile et Griffon – j’ai formé les futurs pilotes. Au début de cette aventure nous étions seulement 3 à avoir l’habilitation au pilotage d’engins habités : Raymond KIENTZY, dit Canoë, et Georges ARNOUX. Tous deux étaient des anciens de l’équipe Cousteau, et moi-même ancien de COMEX.

L’Institut national de plongée professionnelle – INPP, créé en 1982, aurait bien voulu avoir le monopole de la formation de pilotes pour les sous-marins habités, mais les seuls sous-marins opérationnels dans les grands fonds, Cyana et Nautile, sont sous notre responsabilité et le projet de l’INPP n’a jamais abouti.

Le Nautile doit être positionné avec précision sur le fond. De nombreux équipements sont indispensables afin d’avoir une navigation précise : sonar panoramique, sondeurs, profondimètre, loch doppler, gyrocompas… Il faut de très bonnes connaissances en électronique et en informatique pour l’utilisation de tous ces appareils.

Sur le fond en cas de problème il faut pouvoir intervenir rapidement afin de poursuivre dans les meilleures conditions les objectifs de la plongée. Un bon diagnostic sera toujours très utile pour la remise en état d’équipements défectueux.

Que ressent on la première fois qu’on entre dans les abysses, qu’on pénètre dans la zone sans lumière ?

Depuis mon enfance je suis attiré par le milieu marin. Je suis né à Marseille, ville que j’ai quittée après y avoir vécu 29 années. C’est un lieu de prédilection pour l’exploration sous-marine : j’ai passé tous mes diplômes de plongée dans la région et j’ai travaillé durant 2 années à COMEX équipements. Mon incursion dans le monde du silence a été progressive mais passionnante. J’ai découvert les abysses en décembre 1973, en plongeant plusieurs fois à des profondeurs supérieures à 1 000 mètres.

En dehors des sites hydrothermaux et des épaves de toutes sortes, le plaisir vient surtout du fait que l’on peut évoluer en trois dimensions dans ce milieu hostile, avec un engin qui nous a demandé beaucoup d’heures de travail pour atteindre ce niveau de performance et de sécurité.

Vous avez participé à des plongées emblématiques : FAMOUS ; l’épave du Titanic. Pouvez-vous nous en parler ? Aviez-vous à l’époque le sentiment de participer à des expéditions fondamentales scientifiquement et historiquement ?

1974 est le début des premières campagnes opérationnelles avec Cyana, et FAMOUS annonce une série de campagnes, pour les géologues, sur les mouvements des plaques océaniques. Avec FAMOUS, ils souhaitaient trouver une manifestation du phénomène d’hydrothermalisme, mais ce ne fut pas le cas. Les premiers sites hydrothermaux sont observés en 1978 lors de la campagne CYAMEX dans le Pacifique au large du Mexique.

Pour le Titanic, l’IFREMER faisait depuis plusieurs années des recherches sur les traces du naufrage. Différentes archives ont été consultées dans le but de délimiter une zone de recherche la plus précise possible. Toutes ces données sont utilisées lors de la campagne de 1985. Le Suroit sera le navire de surface avec à son bord un sonar acoustique remorqué, équipé d’un magnétomètre très performant.

Le 24 juillet 1987, j’ai piloté le Nautile pour sa première plongée sur l’épave du Titanic. À bord, Max DUBOIS était la navigateur et Paul-Henri NARGEOLET le passager. La plongée a duré 9h03.

L’épave du Titanic
L'épave du Titanic © WHOI

Les deux parties de l’épave ne sont pas encore correctement positionnées et on ne connait pas leurs orientations respectives. À l’aide du sonar panoramique une partie de l’épave est détectée : un fort écho apparait sur l’écran et la sortie audio nous donne une signature caractéristique d’une grosse masse métallique.

Nous arrivons sur le côté tribord au niveau de la cale avant, la visibilité est bonne, on n’aperçoit pas encore la coque, il faut gravir un talus de plusieurs mètres avant de voir les formes de ce monstre d’acier.

L’étrave en arrivant sur le fond a tracé un sillon comme le soc d’une charrue. Le poste de pilotage du Nautile est sur bâbord, à mesure que j’avance, j’ai une vue incroyable et magique sur cette partie de l’épave avec son étrave et sa tête de proue. Ensuite je me positionne afin que Paul-Henri puisse lui aussi profiter de ces longues minutes inoubliables de balade sur la plage avant avec ses 2 énormes cabestans, gravés sur le dessus « Harland & Wolff ». C’est le chantier naval qui a construit la plupart des paquebots de la White Star Line dont l’Olympic et ses sister-ships le Titanic et le Britannic.

Caméras vidéo et photos enregistrent notre évolution sur toute la partie avant de l’épave, nous pourrons, à notre retour en surface, faire partager à toute l’équipe tous ces moments inoubliables.

Racontez nous votre plongée la plus profonde ? Quelle a été votre plongée la plus mémorable ?

J’ai effectué 4 plongées entre 5 999 et 6 003 mètres, à ces immersions il n’y a pas grand-chose à voir. J’ai plongé le 13 août 1985 à 6 000 mètres lors de la mission KAIKO-NHK. Une nasse avec des déchets de viande a été envoyée sur le fond. Le but était d’attirer le maximum d’espèces des grands fonds, mais au cours de cette plongée la seule espèce que nous avons vue était un spécimen de requin dormeur.

Nous étions très satisfaits de voir enfin cette espèce de requin qui n’est pas obligé d’évoluer pour avoir un échange d’oxygène avec ses branchies, contrairement aux autres requins communs.

Lors de la campagne TITANIC de 1996 l’astronaute Buzz ALDRIN était avec nous sur Le Nadir… Cet ancien militaire, pilote d’essai, ingénieur qui a effectué 3 sorties dans l’espace et marché sur la lune est notre passager lors d’une plongée. Je lui ai fait découvrir l’épave du Titanic. C’est un moment exceptionnel, une plongée avec un homme qui a marché sur la lune, il est le seul à avoir ce record, une sacrée distance entre notre immersion à 3 760 mètres, et la distance qui sépare la Terre de la lune : 384 467 km…

Un peu avant la remontée, il y a eu la séquence souvenir. Sous ma combinaison j’avais un tee-shirt avec une  reproduction du Titanic. Après avoir ôté le haut de ma combinaison de plongée et mon tee-shirt, Buzz ALDRIN me l’a signé au dos. J’ai depuis ce jour-là une relique, souvenir de cette plongée unique et exceptionnelle.

L’astronaute Buzz ALDRIN et P-H NARGEOLET en plongée à bord du Nautile
Buzz ALDRIN et Paul-Henri NARGEOLET dans la sphère du Nautile © RMS Titanic

Avez-vous été inspiré par un modèle, une figure emblématique, un livre… ?

Comme pour beaucoup de personnes, toutes générations confondues, les romans d’aventures de Jules Verne sont une source inépuisable de voyages extraordinaires. Vingt Mille Lieues sous les mers avec le sous-marin Nautilus est certainement un bon sujet d’inspiration.

Nautilus, Nautile, fiction et réalité, quelle aventure dans le monde du silence !

Y a-t-il un sous-marin que vous auriez aimé piloter ? Pourquoi ?

Je n’ai plongé comme pilote ou passager qu’avec des engins sous-marin desquels j’avais la responsabilité technique : CyanaNautileGriffon. Il n’y a eu que deux exceptions : les ssous-marins de tourisme le Seabus de la COMEX, exploité à Monaco, et le Mobilis exploité en Baie de Saint-Pierre en Martinique. Ces deux sous-marins étaient sous la responsabilité d’amis avec qui j’ai travaillé.

Pour vous, avec le développement des engins autonomes, l’Homme a-t-il encore sa place au fond des océans ?

Les robots sous-marins autonomes – AUV, et les engins sous-marin téléopéré – ROV, ont pris le pas sur les engins habités. La communauté scientifique, les géologues et biologistes utilisent depuis pas mal d’année ces nouveaux engins. Mais les scientifiques, la vision directe à travers un hublot est toujours nécessaire.

Avez-vous un message à transmettre aux jeunes générations ?

À compter d’aujourd’hui, 1er août 2024, et jusqu’à la fin de l’année, l’humanité aura épuisé les ressources que la planète peut renouveler en un an. Ce point de bascule, connu sous le nom de « Jour du dépassement », est un indicateur qui souligne la gravité de la crise climatique et la nécessité urgente de respecter les limites planétaires déjà bien fragiles… et pour beaucoup déjà dépassées.

Pratiquement tous les organismes sont d’accord sur cette situation, et ils sensibilisent les jeunes générations au rôle qu’ils peuvent avoir dans le développement durable et l’écologie.

Ce sont eux qui doivent prendre le relais et faire en sorte que toutes les nations y contribuent.