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1993 : L’épave de La Lune / au large de Toulon (Méditerranée)

En 1664, Louis XIV, jeune monarque ambitieux, souhaite un coup d’éclat pour asseoir son autorité. Conseillé par COLBERT et le chevalier PAUL, l’un des marins les plus célèbres du 17e siècle, il opte pour la guerre navale contre les Barbaresques car ces corsaires redoutables tiennent la Méditerranée et y pratiquent à grande échelle le commerce des esclaves.

« French ships of the line » de Pierre Puget
Représentation de trois vaisseaux avec les marques de leurs dignités de Pierre-Paul PUGET, 1690. La Lune est le navire de gauche. © Libre de droits

Forte de plusieurs dizaines de navires, l’expédition commandée par le duc de BEAUFORT, cousin du roi et petit-fils d’Henri IV, tourne pourtant au désastre : sapée par les assauts de l’ennemi et les tergiversations de l’état-major, l’armée la plus puissante du monde doit battre en retraite et réembarque précipitamment sur de vieux vaisseaux de ligne coulant bas… De retour au pays, l’expédition, devenue encombrante car son échec humilie le jeune roi et ses conseillers, n’est plus la bienvenue. Refoulée en quarantaine vers les îles d’Hyères, La Lune, fleuron de la Marine Royale, est déjà à bout de souffle. Bien que le vaisseau prenne l’eau de toutes parts, les charpentiers du roi le déclarent apte à naviguer. Le drame est noué : à quelques milles au large de Toulon, le bâtiment et 900 soldats et hommes d’équipage coulent « comme un marbre »…

15 mai 1993… Lors d’une plongée d’essai, Paul-Henri NARGEOLET à bord du sous-marin Nautile de l’Ifremer découvre une épave par 90 mètres de fond, au large de la presqu’île de Giens. Quasi-intact, le vieux navire gît, enfoui, très légèrement incliné sur bâbord, à quelques milles des côtes. Tout autour ou au sein de l’épave s’étalent des vestiges d’un autre temps : gréement, vaisselle, objets personnels, épées, coffres, pièces d’artillerie…

Le 24 mai 1993, une expertise du site est conduite par Luc LONG du DRASSM à bord du Nadir, navire-support du Nautile. Ce sous-marin dépose à cette occasion sur l’épave une douzaine de règles graduées, de 2 mètres de longueur, ainsi que 8 mires altimétriques et un cube de calibration afin de mesurer les déformations visuelles. Des prises de vues verticales sont réalisées. Trente-six pièces d’artillerie sont également remontées. Mais dans les années 1990, les moyens technologiques ne sont pas assez puissants pour remonter des vestiges sans les endommager. L’analyse des mobiliers observés et le recoupement des données archéologiques avec la documentation d’archives alors recensée ont aussitôt permis d’identifier l’épave découverte comme celle de La Lune.

nautile en plongée © Ifremer
Le Nautile en plongée © Ifremer

Le 27 janvier 1994, le DRASSM obtient que le site de La Lune soit interdit à la plongée afin de protéger l’épave d’éventuels pillages. Le 18 avril 1997, l’épave fait l’objet d’une unique visite officielle de contrôle avec le robot téléopéré Super Achille de la COMEX.

Malgré l’interdiction de plongée sur le site, des plongeurs munis de recycleurs parviennent à piller l’épave. En 2005, après une enquête menée par Michel L’HOUR, des objets, comme une cloche en bronze richement décorée de quatre blasons, sont retrouvés et intégrés aux collections du DRASSM.

Entre 2007 et 2012, Michel L’HOUR prépare activement la campagne de fouilles sur La Lune, convainquant de nombreux partenaires institutionnels, industriels et médiatiques de l’importance de ce chantier expérimental. Fouiller une épave à 90 mètres de profondeur relève véritablement du défi !

« Être présent dans l’exploration des biens culturels maritimes localisés par grand fond est de fait un challenge que la France, patrie de naissance de l’archéologie sous-marine et des explorations de l’abysse, ne peut pas se permettre de négliger. »

Michel L'HOUR

Parmi les partenaires qui acceptent de se joindre à ce formidable challenge, citons :

  • Le Cephismer (Cellule plongée humaine et intervention sous la mer) de la Marine nationale dont le scaphandre rigide NewtSuit explore La Lune le 18 mars 2012.
  • L’Institut Français de Recherche pour l’Exploitation de la Mer (Ifremer) dont le robot sous-marin autonome AsterX intervient sur La Lune le 16 mars 2012 (campagne ESSAUV12-2), fournissant des images inédites des reliefs et des contours des objets qui équipaient La Lune, en particulier, quelques-uns des 48 canons.
  • Le département Géosciences Marines de l’Institut de Physique du Globe de Paris (CNRS) et la Escola Politècnica Superior de l’Université de Girona (Espagne) qui dressent, du 28 au 30 août 2012, avec l’aide du robot sous-marin autonome Girona 500, une cartographie 3D de l’épave de La Lune.
  • L’École Nationale Supérieure de Techniques Avancées (ENSTA) dont une élève ingénieur de 3e année, Maylis GARCIA, est chargée d’étudier la faisabilité d’un engin sous-marin adapté.
  • Dassault Systèmes SA « The 3D Experience Company » qui permet aux archéologues de visiter, à l’aide de casques de réalité virtuelle, l’épave reconstituée en 3D à partir des données réelles du terrain. L’objectif est à terme de permettre aux archéologues d’assurer de manière totalement autonome l’expertise et l’analyse des épaves perdues par très grande profondeur.
  • A-Corros et Eiffage Branche Métal chargés d’assurer le traitement des mobiliers métalliques remontés de l’épave.
1993 L’épave de La Lune – Toulon
Deux canons sur l’épave de la Lune © Frédéric OSADA, Teddy SEGUIN / DRASSM

Deux intervenants majeurs dans le domaine de l’exploration robotisée des épaves de grand fond s’associent également à l’Opération Lune :

  • La Compagnie Maritime d’Expertise (COMEX) qui participe au relevage des objets prélevés au fond à l’aide de son sous-marin Remora 2000 et de son robot téléopéré Achille M4.
  • L’Institut océanographique américain Woods Hole qui met en œuvre 2 robots autonomes de type Remus 100 afin de réaliser des couvertures acoustiques et photographiques 3D de l’épave.

Ce grand programme de recherche expérimental attire rapidement les médias. La chaîne publique franco-allemande ARTE propose à Michel L’HOUR un tournage en 3D d’un documentaire qui doit rendre compte des travaux conduits par les archéologues du DRASSM sur La Lune.

« Il est primordial que le plus grand nombre puisse voir les épaves et prendre conscience de notre travail et de l’intérêt de ce patrimoine immergé. »

Michel L'HOUR

Du 8 au 13 octobre 2012, débute la première campagne d’expertise sur le site de l’épave de La Lune. Le programme est ambitieux : en seulement 5 jours, de nouvelles technologies doivent être testées. Paul-Henri NARGEOLET fait également partie de l’aventure en tant que conseiller technique.

« Ce que nous sommes en train de fouiller ici, c’est un véritable Pompéi sous-marin. »

Michel L'HOUR
1993 L’épave de La Lune – Toulon
Le scaphandrier Joe KIRSCH équipé du NewtSuit en plongée sur le site de la Lune © Frédéric OSADA, Teddy SEGUIN / DRASSM

Trois navires sont affrétés et doivent de manière concomitante déployer leurs engins :

  • Le navire Jason de la Marine Nationale gère la plongée du scaphandrier en chef Joe KIRSCH équipé du scaphandre NewtSuit. Pendant cette campagne, cinq pilotes du Cephismer sont habilités à manier le NewtSuit. Sorte scaphandre rigide adapté aux grands fonds (déminage, intervention sur sous-marin en détresse…) le NewtSuit est capable de résister à la pression jusqu’à 300 mètres de profondeur. Le scaphandrier peut rester sur le fond pendant plusieurs heures. NewtSuit atteint le site de l’épave en 4 minutes.
  • Le navire André Malraux du DRASSM gère un robot sous-marin qui, grâce à ses bras articulés, installe les vestiges dans une cage qui est ensuite remontée à la surface. Équipé d’une caméra, le robot téléopéré retransmet des images en direct, à bord du navire. Dès le 1er jour de la campagne, Michel L’HOUR est impressionné par ce qu’il voit sur les écrans.
  • Le navire Minibex de la COMEX met à l’eau le Remora 2000 piloté par Yvan TCHERNOMORDIK dit « Popof » accompagné du caméraman Denis LAGRANGE. Ce sous-marin d’observation biplace capable de plonger jusqu’à 610 mètres, est chargé d’accumuler les images 3D en vue du documentaire pour ARTE. Équipé d’un prototype de caméra permettant de filmer l’épave en relief, le Remora 2000 survole l’ensemble de l’épave. Un robot contrôlé à distance, lui aussi équipé d’une caméra, est également déployé.

L’objectif est de survoler les cuisines (riches en objets) dont les images vont permettre aux ingénieurs de Dassault Système de reconstituer en images 3D cette partie de l’épave pour en faciliter l’étude. Une seconde couverture photo et cartographique de l’épave est à également menée par l’Escola Politècnica superior de l’Université de Girone (Espagne).

Au cours de cette campagne, de nombreux prélèvements d’objets pour échantillonnage et expérience de traitement sont effectués par le scaphandre NewtSuit et les robots téléopérés Achille, Perséo et Ulisse : 2 chaudrons, une douzaine de pièces de céramique (albarello, bouteilles, tasses, assiettes, pots, écuelles, fragment de jarre), briques de terre cuite, 1 dame-jeanne en verre.

L’opération expérimentale du chantier de La Lune comprend un volet restauration : il s’agit de voir si des pièces métalliques pourraient être rapidement préservées dans des bains de fluides subcritiques développées par la société A-Corros.

En novembre 2012, compte tenu de l’ensemble des avantages que le traitement par l’usage des fluides subcritiques peut receler, le DRASSM, A-Corros et Eiffage Branche Métal décident d’associer leurs compétences et de travailler à la construction et à l’installation de la première machine de ce type en Europe.

Complété par les pièces d’artillerie remontées en 1993, le site révèle également de nombreuses pièces d’armement telles que des mousquets et des épées offrant un objet d’étude sur l’armement du 17e siècle. Toutefois, les concrétionnements visibles sur les canons en fonte de fer et le manque de temps ne permettent pas d’ébaucher l’étude des canons visibles sur le site.

L’observation de l’épave et des vestiges doit également étayer des hypothèses quant aux causes du naufrage. Les archéologues ont une théorie mais aucune preuve sur les raisons du naufrage. S’agit-il d’une tempête ou d’un complot dans le contexte politique tourmenté du début de règne de Louis XIV ?

En décembre 2012, le documentaire réalisé par ARTE intitulé « Opération Lune, l’épave cachée du Roi-Soleil » est diffusé en première partie de soirée.

En 2013, le projet mené entre le DRASSM et Maylis GARCIA (ENSTA) aboutit à la mise en place d’un programme de recherche et de développement baptisé CORSAIRE (Consortium en Robotique Sous-marine pour l’Archéologie Innovante et la Récupération d’Épaves). Ce programme se propose de développer un système robotique de toute nouvelle génération capable d’effectuer jusqu’à 2 500 mètres de profondeur toutes les manipulations actuellement effectuées par faible fond par un archéologue sous-marin. Ce robot doit être capable de collecter des objets et d’effectuer de la cartographie 3D.

Ce chantier préfigure l’archéologie sous-marine de demain avec la conception : « d’une famille de robots capables de travailler comme un humain, peu importe la profondeur et la pression. On doit obtenir la même maniabilité, la même finesse que si on le faisait soi-même. »

En octobre 2013, une seconde campagne est interrompue en raison de mauvais résultats. Michel L’HOUR fête, en 2013, ses 10 000 heures passées sous l’eau… ce qui représenterait 416 jours de plongée non-stop. En octobre-novembre 2014, débute une 3e campagne d’expertise sur le site de l’épave de La Lune. L’objectif est d’expérimenter le robot baptisé Speedy 1 réalisé par le Laboratoire d’informatique, de robotique et de microélectronique de Montpellier (Lirmm) dans le cadre du projet CORSAIRE.

« Le robot est une machine qui restituera, même quand on sera à 2 000 mètres de fond, à l’archéologue qui aura une vision en 3D du site, la notion du toucher. »

Michel L'HOUR

Mesurant 70 centimètres de long et pesant 30 kg, Speedy 1 est doté d’une tige pivotante permettant d’adapter au choix une main à trois doigts de 1,5 fois la taille de celle d’un homme ou une griffe conçues, toutes les deux, pour saisir les objets. Le robot expérimental est également équipé d’une caméra omnidirectionnelle qui offre une vision panoramique (360°). Speedy 1 parvient à atteindre le site de l’épave en 5 minutes et à collecter 2 objets sans les abimer : une bouteille en terre cuite et une cruche en céramique.

« Les technologies qui se révèlent performantes sur La Lune seront transposables aux fouilles archéologiques par grands fonds, à 300 mètres et au-delà. »

Michel L'HOUR

Durant cette campagne, le robot sous-marin téléopéré Achille est envoyé sur le site pour éclairer, filmer et prendre des clichés de l’épave et de la mission. En octobre 2015, une 2e campagne de fouille est programmée sur le site de l’épave de La Lune dont l’un des objectifs est de tester 3 robots de seconde génération, plus rapides et plus agiles.

« Si l’on pouvait fouiller ces sites aussi bien que des épaves gisant à vingt mètres de profondeur, on pourrait recueillir un grand nombre d’informations historiques inédites. Une nécessité d’autant plus urgente que ces sites archéologiques sont aujourd’hui menacés par les chalutiers qui raclent les fonds marins. »

Michel L'HOUR

Mais Speedy 1 n’a pas donné entière satisfaction et Michel L’HOUR préfère continuer à « faire des essais, sans précipitation, pour élaborer des méthodes et des machines opérationnelles à l’horizon 2020. »

Le DRASSM étudie actuellement les capacités d’autres robots humanoïdes.

« À terme, l’idéal serait de pouvoir enfiler un casque de réalité virtuelle qui reproduise un site archéologique dans son intégralité et de manœuvrer un avatar de robot sous-marin dont chaque mouvement serait reproduit à l’identique dans la réalité. En enfilant des gants, un archéologue pourrait alors fouiller des épaves, jusqu’alors inaccessibles, comme s’il y était. Après chaque journée de fouille, l’épave virtuelle serait remise à jour en intégrant les modifications apportées sur l’épave réelle : récupération d’objets, etc… »

Michel L'HOUR