L’exploration de la Lune : un chantier laboratoire pour l’archéologie des abysses
En 1664, Louis XIV, jeune monarque ambitieux, souhaite un coup d’éclat pour asseoir son autorité. Conseillé par COLBERT et le chevalier PAUL, l’un des marins les plus célèbres du 17e siècle, il opte pour la guerre navale contre les Barbaresques car ces corsaires redoutables tiennent la Méditerranée et y pratiquent à grande échelle le commerce des esclaves.
Forte de plusieurs dizaines de navires, l’expédition commandée par le duc de BEAUFORT, cousin du roi et petit-fils d’Henri IV, s’empare du port de Djidjelli (Algérie) en juillet 1664. Mais le 5 octobre, 12 000 Kabyles et Turcs attaquent le camp français. Sapée par les assauts de l’ennemi et les tergiversations de l’état-major, l’armée la plus puissante du monde doit battre en retraite le 31 octobre…
De retour à Toulon le 5 novembre 1664, l’expédition, devenue encombrante car son échec humilie le jeune roi et ses conseillers, n’est plus la bienvenue. Refoulée en quarantaine vers les îles d’Hyères, la Lune, fleuron de la Marine Royale, est déjà à bout de souffle. Bien que le vaisseau prenne l’eau de toutes parts, les charpentiers du roi le déclarent apte à naviguer.
Le drame est noué : le 6 novembre 1664, à cinq milles de Toulon, la Lune « coule comme un bloc de marbre », selon le duc de BEAUFORT. Entre 540 et 1 200 soldats et hommes d’équipage (900 selon BEAUFORT) périssent. Il y eut au mieux de 20 à 40 survivants.
15 mai 1993… Lors d’une plongée d’essai, Paul-Henri NARGEOLET à bord du sous-marin Nautile de l’Ifremer découvre une épave par 90 mètres de fond, au large de la presqu’île de Giens. Quasi-intact, le vieux navire gît, enfoui, très légèrement incliné sur bâbord, à quelques milles des côtes. Tout autour ou au sein de l’épave s’étalent des vestiges d’un autre temps : gréement, vaisselle, objets personnels, épées, coffres, pièces d’artillerie…
Le 24 mai 1993, une expertise du site est conduite par Luc LONG du DRASSM à bord du Nadir, navire-support du Nautile.
Le Nautile dépose à cette occasion sur l’épave une douzaine de règles graduées, de 2 mètres de longueur, ainsi que 8 mires altimétriques et un cube de calibration afin de mesurer les déformations visuelles. Des prises de vues verticales sont réalisées.
Trente-six pièces d’artillerie sont également localisées. Mais dans les années 1990, les moyens technologiques ne sont pas assez puissants pour extraire les vestiges sans les endommager. L’analyse des mobiliers observés et le recoupement des données archéologiques avec la documentation d’archives alors recensée ont aussitôt permis d’identifier l’épave découverte comme celle de la Lune.
Le 27 janvier 1994, le DRASSM requiert que le site de la Lune soit interdit à la plongée afin de protéger l’épave d’éventuels pillages.
Le 18 avril 1997, l’épave fait l’objet d’une unique visite officielle de contrôle avec le robot téléopéré Super Achille de la COMEX.
Malgré l’interdiction de plongée sur le site, des plongeurs munis de recycleurs parviennent à piller l’épave. En 2005, après une enquête menée par Michel L’HOUR, des objets, comme une cloche en bronze richement décorée de quatre blasons, sont retrouvés et réintégrés par le DRASSM dans les collections publiques.
Entre 2007 et 2012, Michel L’HOUR prépare activement une première campagne de fouilles sur la Lune, convainquant de nombreux partenaires institutionnels, industriels et médiatiques de l’importance de ce chantier expérimental. Fouiller une épave par 90 mètres de profondeur relève véritablement du défi !