Une anémone de mer : les insecticides et les antidouleurs de demain

25/03/2013

Mauvaise nouvelle pour les insectes nuisibles, bonne nouvelle pour les humains. Des chercheurs du Laboratoire de Toxicologie de la KU Leuven ont découvert que le poison d’une anémone de mer était un insecticide plus puissant que le DDT et non-polluant. En plus, cette substance va peut-être permettre de développer une nouvelle génération d’antidouleurs. « Plus on en découvre sur ce type de poisons, plus on se rend compte qu’ils sont des alliés de l’homme et non pas des ennemis. » « Nous avons été surpris : pourquoi une anémone de mer dispose-t-elle d’une arme puissante contre les insectes ? Les deux ne se rencontrent pratiquement jamais, cela semble totalement superflu d’un point de vue évolutif », explique Jan Tytgat. Précisons que les anémones de mer ne sont pas des plantes mais des animaux apparentés aux méduses. Pour se défendre et pour capturer des proies, l’anémone de mer est équipée de nématocystes, une sorte de dispositif de harpon équipé de flèches empoisonnées. Quand elle est touchée, l’anémone tire des petits harpons remplis de poison et tue ainsi ses ennemis. Le professeur Jan Tytgat, directeur du Laboratoire de Toxicologie, explique : « Ce poison est un cocktail de différentes toxines, des protéines porteuses de poison qui ont différentes utilités. Par exemple, une de ces toxines paralyse le système nerveux en attaquant les canaux sodiques qui le régulent. D’autres visent le muscle cardiaque ou les muscles du squelette. » « Mon collègue chercheur Steve Peigneur et moi-même avons étudié les effets de trois de ces toxines. Nous les avons testées sur dix types de canaux sodiques différents : sept chez des mammifères et trois chez des insectes. Le moins que l’on puisse dire est que le résultat a été spectaculaire : les poisons paralysent aussi les canaux des insectes. En d’autres termes, ce sont des insecticides. Et ils se révèlent particulièrement mortels : ils sont plusieurs fois plus puissants que le DDT. » « Cela nous a surpris, car il semble inutile pour une anémone de mer d’avoir une arme puissante contre les insectes. En principe, elle ne rencontre aucun insecte au cours de sa vie. En termes d’évolution, cela semble tout à fait inutile. L’explication est peut-être la nécessité pour les anémones de se défendre contre les écrivisses et les crevettes, et de se nourrir de ces animaux. Selon l’évolution des espèces, ces crustacés sont étroitement apparentés aux insectes. » Tuer et guérir : le venin animal et la santé humaine L’anémone de mer ne serait pas le premier animal venimeux à apporter un nouveau médicament aux hommes. Les trois cas suivants l’ont précédée : – Le serpent Bothrops jararaca a permis de mettre au point le Captopril, médicament contre l’hypertension – Le Monstre de Gila, une espèce de lézard, a fourni le Byetta, traitement pour le diabète de type 2 – L’escargot de mer Conus magus a permis de créer le Prialt, médicament contre les douleurs chroniques La découverte de ces poisons peut mener à l’élaboration de nouveaux insecticides non-toxiques pour l’environnement, indique le professeur Tytgat : « De nombreux insecticides actuels ne fonctionnement plus très bien car les insectes y sont devenus résistants. Ce n’est pas le cas du poison de l’anémone. De plus, beaucoup d’insecticides artificiels comme le DDT restent longtemps dans la nature et deviennent ainsi un danger pour l’environnement et pour l’homme. Ces produits laissent des traces toxiques dans le corps humain, c’est d’ailleurs pour cela que beaucoup sont aujourd’hui interdits. Les toxines des anémones sont un produit naturel et ne présentent donc pas ce problème. » « C’est maintenant à l’agro-industrie de déterminer comment faire de ces toxines de véritables insecticides. On pourrait par exemple modifier des plantes génétiquement de manière à ce qu’elles produisent ces protéines empoisonnées elles-mêmes. Les insectes qui mangeraient ces plantes mourraient sur le champ. Cela peut sembler spectaculaire, mais dans la nature ce n’est pas nouveau : la nicotine présente dans les plantes de tabac a aussi pour but de tuer les insectes ennemis. » Le poison des anémones sera peut-être bientôt utilisé pour repousser les insectes de nos plantations, mais il servira peut-être aussi de base à de nouveaux médicaments pour l’homme. « Certaines personnes ne réagissent presque plus aux antidouleurs légers comme le Paracétamol, certains ne réagissent même plus à des narcotiques aussi lourds que la morphine. Pour ces personnes, il faut développer une nouvelle génération d’antidouleurs. Les toxines des anémones de mer peuvent être utilisées pour mettre au point ces substances. Comme nous l’avons dit, nous les avons testées aussi sur des mammifères, et nous avons constaté qu’elles avaient une influence sur la perception de la douleur et qu’elles avaient un effet sur le muscle cardiaque. Elles peuvent également être utiles pour traiter l’épilepsie ou la sclérose en plaques. » Des médicaments à base d’anémone de mer, n’est-ce pas un rêve lointain ? « Au contraire », répond Jan Tytgat. « Ce type de médicaments existe déjà aujourd’hui. Il y a quelques années, le Prialt, un médicament contre les douleurs chroniques, est arrivé sur le marché. La composante active de ce médicament est une toxine issue du poison des escargots de mer. Cela a beau sembler de la science-fiction, les premières réussites scientifiques sont déjà là. »

Un poison intelligent Mortel pour les insectes, antidouleur pour les humains, c’est beaucoup pour le poison d’un seul petit animal. « Ce n’est pas pour rien que nous appelons ce poison ‘promiscu’ dans notre étude », poursuit Jan Tytgat. « Il contient un cocktail de toxines dont une des composantes attaque une cible très spécifique chez la proie, et dont une autre provoque une paralysie plus générale. C’est un moyen de défense très intelligent pour l’anémone : elle augmente fortement ses chances de survie en ayant ainsi plusieurs cibles. C’est aussi pour cela qu’il n’existe pas encore de mécanisme de résistance au poison de l’anémone : les proies qui survivent ne peuvent pas se reproduire car il n’y a tout simplement pas de survivants. » « Plus on en découvre sur ce type de poisons, plus ils nous apparaissent comme des alliés. C’est en tout cas un bel exemple de l’utilisation de la biodiversité au service de la santé. »

Source : BE Belgique numéro 70 (14/02/2013) – Ambassade de France en Belgique / ADIT – http://www.bulletins-electroniques.com/actualites/72235.htm