Les polluants organiques contaminent les poissons

14/12/2011

Aux fines herbes, au fenouil ou à la provençale, le bar est un classique de la gastronomie européenne. Les Méditerranéens le connaissent mieux sous le nom de « loup », car la bête est vorace et engloutit chaque jour bon nombre de petits poissons et autres crustacés.
Comme les grands cétacés, le bar est au bout de la chaîne alimentaire marine. Et c’est bien ça son problème… Depuis plusieurs dizaines d’années, l’activité humaine a relâché dans l’environnement des quantités considérables de polluants organiques et inorganiques, comme les PCB naguère utilisé comme isolant électrique, ou le DDT employé comme insecticide pour lutter contre la malaria, sans oublier différents métaux toxiques.

Aujourd’hui, la production de ces polluants est interdite ou sévèrement contrôlée, mais le mal est fait car il s’agit de molécules très persistantes. Il faut des dizaines d’années pour qu’elles se dégradent. Avec le ruissellement des eaux, ces polluants se retrouvent dans les rivières, puis dans la mer où ils contaminent d’abord le phytoplancton avant de remonter toute la chaîne alimentaire : zooplancton, petits poissons, gros poissons… comme le bar justement. Plus l’organisme vivant est haut dans la chaîne, plus il est contaminé.

Le problème des polluants organiques, explique Joseph Schnitzler, chercheur au laboratoire d’océanologie de l’ULG, c’est qu’ils ressemblent aux hormones. Ils ont donc tendance à perturber le fonctionnement de certaines glandes comme la thyroïde, les ovaires ou les testicules. Les fonctions biologiques menacées sont essentielles : reproduction, régulation de la chaleur, croissance, etc.

Pour étudier l’impact des polluants organiques sur la thyroïde du bar, Joseph Schnitzler a embarqué à bord de plusieurs navires océanographiques, notamment le Thalassa de l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer), et a plongé ses filets dans cinq estuaires européens : la Gironde, la Charente, la Loire, la Seine et l’Escaut.
Après analyse, le chercheur liégeois peut affirmer que le muscle des bars provenant des deux derniers estuaires, qui sont aussi les plus pollués, contient sensiblement plus de PCB que les autres. Mais est-ce à dire que ces poissons sont en moins bonne santé ? Ou à tout le moins que leur thyroïde fonctionne moins bien ?
Pour le vérifier, Joseph Schnitzler a regardé des échantillons de thyroïde au microscope. Les différences ne sont pas spectaculaires. Le bar de l’Escaut présente toutefois des follicules de thyroïde plus petits en moyenne que les autres. Ce qui doit entraîner, paradoxalement, une plus grande production d’hormones. Le paradoxe n’est qu’apparent, estime le chercheur. C’est probablement un effort de compensation de l’organisme car, à cause des polluants organiques, les hormones qui circulent dans le corps sont moins efficaces. Il faut donc en produire plus.

Pour pousser plus loin les recherches, il a entamé une collaboration avec l’université d’Anvers, où il a eu la possibilité de travailler, non plus avec des poissons prélevés dans un estuaire, mais sur des bars d’élevage. L’expérience consistait à faire varier, dans cinq aquariums séparés, le taux de pollution imposé aux poissons : de nul à très élevé, en passant par des niveaux moyens comparables à ce qu’on trouve actuellement dans l’environnement.

Je m’attendais à retirer des poissons de plus petite taille de l’aquarium le plus pollué, confie l’océanologue. Mais il faut être honnête, ce n’est pas le cas. Pourtant, les thyroïdes sont manifestement atteintes. Plus les aquariums sont pollués, plus les follicules sont de taille et de formes différentes.

L’étape suivante est l’étude de l’effet de ces polluants organiques sur les oeufs de poissons. Car le rôle des hormones, notamment thyroïdiennes, est particulièrement important durant cette période de développement de l’animal.

Cela dit, il serait imprudent d’attendre les conclusions définitives de ce genre d’étude pour réduire la production de polluants organiques. Certes, nous ne produisons plus de PCB ou même de DDT, mais l’industrie chimique invente chaque jour de nouvelles molécules qui les remplacent et causent le même type de problème.

Et la santé de la mer, indépendamment des équilibres écologiques globaux, cela nous concerne immédiatement. Si vous consommez trois fois sur un mois du bar provenant des régions côtières de la Seine ou de l’Escaut, a calculé Joseph Schnitzler, vous dépassez la dose de PCB considérée comme nocive pour la santé. Et certains poissons de mer, comme le thon, le saumon ou l’espadon, sont encore plus contaminés.

Source : BE Belgique numéro 57 (01/12/2011) – Ambassade de France en Belgique / ADIT
http://www.bulletins-electroniques.com/actualites/68374.htm