La révélation du mystère de l’oxydation du méthane marin

25/01/2013

Dans les fonds marins, d’énormes quantités de méthane (gaz à effet de serre) sont enregistrées sous la forme d’hydrate de méthane.

Dans les fonds marins, d’énormes quantités de méthane (gaz à effet de serre) sont enregistrées sous la forme d’hydrate de méthane. Un groupe de microorganismes dans les sédiments de l’océan veille à ce que ce méthane soit dégradé sans recours à l’oxygène (respiration anaérobie). Il était connu que les composés du sulfure jouaient un rôle important dans cette réaction. Des chercheurs autrichiens (laboratoire de micro-écologie de l’université de Vienne) et allemands (Max Planck-Institut pour la recherche sur les polymères Mainz et Max Planck-Institut pour la microbiologie marine à Brème) ont cependant montré que le processus voit se développer des réactions bien différentes de celles qu’on pensait être jusqu’alors. Leur travail a été publié dans le magazine « Nature » (numéro 7425, volume 491).

Le méthane se forme lorsque les immenses quantités de matériel organique, qui coulent en permanence sur les fonds océaniques se décomposent. Des micro-organismes méthanogènes forment le méthane à partir de l’hydrogène et de CO2, et cela dans de telles quantités, que la science s’applique à comprendre les processus se déroulant sur le sol des mers de façon très détaillée.

Deux autres groupes de microorganismes vivant dans des conglomérats de différentes tailles, dans les sédiments marins contenant du méthane, veillent à la dégradation du méthane. Ce « groupe de travail » se compose d’archées méthanotrophes, et de bactéries. Ils reforment du Dioxyde de carbone (CO2) en utilisant la voie métabolique de l’Anaerobic oxydation of méthane (AOM, oxydation anaérobie de méthane), dans les sédiments anoxiques. Depuis de nombreuses années, les scientifiques ont cherché le produit intermédiaire nécessaire à cette réaction, supposément transmis des archées oxidatrices de méthanes aux bactéries.

Il a longtemps été pensé que les bactéries réduisaient le sulfate (SO4) (en d’autres termes elles « respireraient l’oxygène présent dans le sulfate), grâce à l’aide des électrons obtenus de l’oxydation du méthane accomplie par les archées. Pour se faire, les électrons auraient cependant dû se déplacer des archées aux bactéries, comment, cela restait un mystère. Il était spéculé que les électrons étaient transportés de l’un à l’autre par des sortes de nano câbles.

Réduction de sulfate en sulfure.

Finalement, l’équipe de chercheurs a découvert que la réaction fonctionne de façon totalement différente. Les chercheurs ont démontré que les archées peuvent accomplir l’AOM seules, sans l’aide de leurs partenaires bactéries. Les archées ne disposent pas de « la boîte à enzymes » observée habituellement chez les autres organismes à respiration au sulfate, mais dépendent d’une voie différente et encore inconnue. Lors de la réaction, le sulfate est réduit, cependant non pas jusqu’au sulfure d’hydrogène tel qu’on le pensait jusqu’alors, mais jusqu’au soufre non-valent seulement. L’équipe a pu grâce à l’aide de la microspectroscopie de Raman et de la technique de la chromatographie dépister la présence de soufre directement dans les archées, à taux bien plus élevés que chez les bactéries et donc permettre une contribution essentielle à l’identification du produit intermédiaire cherché depuis longtemps.

Les bactéries, a contrario, ne procèdent pas à la réduction de sulfate qui était pourtant présumée. Mais alors quel est donc le rôle des bactéries puisque les archées s’occupent non seulement de l’oxydation du méthane mais aussi de la respiration au sulfate ? Et bien les bactéries réductrices de sulfate absorbent le soufre non-valent qu’elles obtiennent des archées et utilisent alors une astuce microbiologique : elles oxydent une partie du soufre et en réduisent l’autre partie ce qui leur permet de gagner en énergie et donc de grandir et de se multiplier. Le disulfure produit par l’AOM est donc utilisé par les bactéries de part la précédente réaction nommée dismutation. Cette réaction engendre la formation d’un composé sulfure (sulfure d’hydrogène) (qui a été réduit) et d’un sulfate (qui a été oxydé). Tout ceci s’apparente à une forme de fermentation, un processus similaire à celui utilisé pour la production d’alcool.

Les sulfates oxydés peuvent de nouveau être absorbés et utilisés par les archées. Les bactéries gardent donc une basse concentration en souffre non-valent, ce qui facilite le travail des archées (car la réaction se déroule alors de façon avantageuse en terme d’énergie). En même temps, elles fournissent aux archées du sulfate, dont celles-ci ont besoin pour leur métabolisme. Il s’agit donc d’une situation gagnante pour tous. C’est grâce à l’incubation continue, durant 8 ans, de cultures d’archées et de bactéries provenant du volcan de boue d’Isis, dans la mer Méditerranée, qu’il a été possible de retracer le cycle du souffre complexe impliqué dans l’AOM.

Jusqu’alors, il avait toujours été délicat d’expliquer la présence de soufre élémentaire dans les sédiments anaérobiques. Cette découverte n’élucide pas seulement le mystère de l’oxydation de méthane en milieu marin, elle éclaire aussi d’un jour nouveau les cycles de carbone et de soufre dans les sédiments marins, riches en méthane.

Source : BE Autriche numéro 148 (8/01/2013) – Ambassade de France en Autriche / ADIT – http://www.bulletins-electroniques.com/actualites/71880.htm

Crédit photo :
© Jana Milucka, MPI f. Marine Microbiology